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Patou St Victor fait des histoires

Poésie - Nouvelles - Fanfictions - Les contenus présents sur ce site sont la propriété exclusive de PatouStVictor

- Un château sous la neige - Fic Plus belle la vie / Quand les Boher n'étaient pas encore un couple ! / Juin 2009

 

CHAPITRE 1 – UNE MISSION

 

La laguna de service banalisée de couleur gris foncé est stationnée dans une rue en pente du 11ème arrondissement. Il est 7h00 du matin, le jour n’est pas encore levé. A l’intérieur, Samia Nassri et Jean-Paul Boher, tous les deux en civil, ont pris le relais de l’équipe de nuit. Leurs collègues sont d’ailleurs bien contents de s’en aller, transis de froid et pressés de rentrer chez eux. Rien à signaler pendant la nuit.

Le quartier est désert. Dans le coin, uniquement des villas et des immeubles de bureau. On est au cœur du pays provençal, au pied des collines de Pagnol. Une neige légère tombe depuis une bonne heure mais elle fond au fur et à mesure qu’elle tombe.

Cela fait plus de six mois que la commissaire Madigan est sur la piste de ce qui semble être un important réseau de trafiquants de drogue. De planques en indics et en filatures de dealers, son équipe en est venue à soupçonner l’existence d’un labo clandestin dans une propriété du 11ème arrondissement de Marseille. Depuis une semaine, les policiers du Mistral se relayent avec la BAC pour surveiller à la fois la propriété en question, le quartier, les allers et venues. Mais pour l’instant sans résultat. Le grand portail de la propriété suspecte reste désespérément clos.

Les planques, c’est ce que Samia aime le moins dans son métier ! Des heures et des heures de patience souvent dans des conditions peu agréables sans être sûr d’obtenir un résultat satisfaisant. Elle a du mal avec ce genre de mission… Pas dans son tempérament, et pourtant ça fait partie du job.

Les deux policiers se sont munis de vêtements bien chauds, de bouteilles d’eau, d’un stock de sandwiches et de plusieurs thermos de café, pour tenir le coup par cette journée glaciale de février. Boher a stationné la laguna suffisamment loin pour ne pas se faire repérer, mais dans un angle où ils ont une bonne vision du portail de la propriété, afin de surveiller et photographier les entrées et les sorties.

- Vous croyez vraiment qu’il pourrait y avoir un labo dans ce quartier de bourges ? demande Samia à son coéquipier. J’y crois pas trop.

- Qu’on y croie ou pas Nassri, ce sont les ordres. Donc on planque et on attend de voir ce qui se passe. Et puis quelle meilleure cachette pour un labo clandestin qu’une belle maison, dans un coin où personne n’irait soupçonner quoique ce soit.

Samia ne répond pas, avale une gorgée de café, fait la grimace, pense qu’elle aurait dû faire le café elle-même, essaye de réchauffer ses mains autour du gobelet, jette un regard à l’extérieur. La neige tombe de plus en plus drue.

- C’est bizarre, on dirait que la neige va tenir.

Boher soupire.

- Nassri, ne me dites pas que c’est la première fois que vous voyez de la neige à Marseille ?

- Bien sûr que non. Mais d’habitude elle fond au fur et à mesure qu’elle tombe. Là j’ai plutôt l’impression que le sol devient blanc.

Il hausse les épaules. C’est pas un brin de neige qui va agiter l’alsacien qu’il est !

- Vous devriez voir la neige en Alsace miss Nassri, je vous garantis que c’est autre chose que trois flocons qui fondent avant même de toucher le sol.

Samia est agacée.

- Evidemment. Sauf qu’en Alsace je suppose qu’il y a les équipements adaptés pour ça. Ici j’en suis pas très sûre. Mes parents m’ont raconté que la ville avait été complètement paralysée dans les années 80, la neige avait tenu plusieurs jours, il y avait eu une belle panique.

- Oui bon, ben pour l’instant on en est pas là, alors on se concentre sur la mission si ça vous fait rien, et puis arrêtez de jacasser comme ça vous m’empêchez de réfléchir.

- Réfléchir ? N’importe quoi ! Y a pas à réfléchir, juste à surveiller si quelqu’un se pointe ou pas dans cette fichue baraque.

- Mais vous avez fini de me prendre la tête ? Je savais que c’était pas une bonne idée de planquer avec vous.

- Ben vous aviez qu’à trouver quelqu’un d’autre. Après tout j’ai rien demandé moi. Quand je pense que je vais passer des heures à me geler dans cette voiture en votre aimable compagnie…

- J’ai essayé de trouver quelqu’un d’autre figurez-vous. Mais entre cette affaire qui mobilise du monde et ceux qui sont couchés avec la grippe, on est tous sur les dents et on manque d’effectifs, j’avais pas beaucoup le choix.

- Ah ? Parce que bien sûr, je manque d’expérience pour cette mission c’est ça ?

- Non ! Parce que je savais que vous alliez m’emmerder toute la journée !

Samia vexée, se réfugie dans un silence offensé, pendant que Boher plonge la main dans le sachet de croissants qu’il a acheté à la première boulangerie qu’ils ont trouvée sur leur chemin. Il tend le sachet à Samia qui répond sèchement non merci. Il lâche un soupir exaspéré, attrape le thermos de café pour se servir. Il se dit que ça va vraiment être une journée de merde. Il aimerait mieux se laisser hacher menu plutôt que d’avouer qu’il est attiré par sa coéquipière, mais bon sang elle a un tel don pour le faire sortir de ses gonds que parfois il a envie de la gifler !

Il achève de mastiquer son croissant, termine son café. Puis il repousse le siège du conducteur vers l’arrière afin de pouvoir étendre ses jambes plus confortablement, croise les bras et laisse aller son cou vers l’appuie-tête.

- Réveillez-moi si ça bouge, et soyez vigilante.

- Mais… Vous allez pas dormir ?

- Et pourquoi pas ? Vous devriez être contente, ça prouve que j’ai confiance en vous non ? Dans une heure je prends le relais et vous pourrez vous reposer vous aussi.

Samia hausse les épaules. Ah la journée s’annonce bien, coincée dans cette foutue bagnole avec son gros bourrin de coéquipier ! La respiration forte et régulière de Boher lui fait comprendre qu’il s’est endormi. Elle s’agite nerveusement sur son siège, décide finalement de manger un croissant, qu’elle accompagne d’un autre gobelet de café, refait la grimace en avalant le breuvage et se promet que c’est bien la dernière fois qu’elle laisse Boher faire le café. Elle ne quitte pas des yeux le portail de la propriété, mais s’inquiète tout de même car elle a de plus en plus de mal à le distinguer, la neige tombe de plus en plus serrée. Elle se soulève à demi, passe par-dessus son coéquipier, s’agrippe au volant et réussit à atteindre la manette pour actionner un coup d’essuie-glace sur le pare-brise. Boher n’a pas bougé un cil. Comment peut-il dormir dans de pareilles conditions ? Bon évidemment il ne doit pas en être à sa première planque mais quand même ! Samia a froid, elle frotte ses mains l’une contre l’autre, fouille dans ses poches à la recherche de ses gants, ne les trouve pas. Qu’est-ce qu’elle en a fait ? Elle est pourtant sûre de les avoir emportés. Ceux de Boher sont posés entre eux, sur l’accoudoir. Sans hésitation elle s’en empare et les enfile. Elle a vraiment trop froid aux mains. Ils sont évidemment trop grands mais ils sont fourrés et chauds.

Un quart d’heure après, la neige tombe toujours et Samia commence à vraiment s’inquiéter. Pas la peine de planquer dans une voiture si la neige empêche de voir quoique ce soit de ce qui se passe à l’extérieur. L’atmosphère devient ouatée. A nouveau elle refait la même opération, se soulève et remet un coup d’essuie-glace. Tout commence à devenir blanc, la rue, les toits, les véhicules en stationnement. Elle décide de réveiller Boher. Elle ne voit pas l’intérêt de rester là, il ne va sûrement rien se passer par un temps pareil et ils vont se retrouver coincés au risque de se faire repérer.

Elle met la main sur le bras de son coéquipier, le secoue. Instantanément il se redresse, les yeux bien ouverts, en homme habitué à ce genre de situation.

- Boher on a un problème là. Regardez dehors !

Avant même qu’elle ait fini de parler, il a déjà compris. Contre toute attente non seulement la neige tient au sol mais en plus le niveau commence à monter.

- On a des chaînes ? demande Samia.

- Non !

- Super ! Nous voilà bien. On fait quoi ?

Il ne répond pas, se saisit du micro pour contacter le commissariat par radio. Un bref dialogue avec le capitaine Castelli et ils reçoivent l’ordre d’abandonner la planque et de rentrer le plus vite possible.

Boher démarre la voiture. Heureusement ils sont stationnés dans la descente, le poids du véhicule permet aux roues de passer l’obstacle de la neige qui s’est accumulée au sol. Les essuie-glaces avant et arrière marchent à grande vitesse et ils ont été obligés de descendre et de remonter leurs vitres respectives afin d’en chasser la neige. Du coup le froid est entré dans la voiture. Frileuse, Samia appuie sur un bouton pour augmenter la température intérieure de l’habitacle. Aux mains elle a conservé les gants de son coéquipier.

Doucement, le véhicule roule sur la neige en patinant un peu par moment. Samia n’en mène pas large mais Boher, derrière son volant, est détendu. Ce n’est pas la première fois qu’il conduit sur de la neige fraîche. La radio se manifeste à nouveau. C’est Castelli, pour leur signaler que l’autoroute vient d’être fermée par mesure de sécurité, ils vont être obligés de se débrouiller autrement pour regagner le Mistral. Génial !

La voiture enchaîne les rues désertes. Visiblement les habitants du quartier ont décidé de ne pas sortir de chez eux. On ne distingue même plus les trottoirs, la neige continue à tomber de plus en plus fort. Arrivés à un carrefour, Boher décide de ne pas respecter le feu de signalisation qui est en train de passer au rouge. S’il s’arrête, sans les chaînes il craint de ne pas pouvoir redémarrer. Personne en vue heureusement, ils ont l’impression d’être seuls dans un quartier fantôme. Il tourne la tête pour regarder Samia. Elle a l’air inquiète. Il lui fait un petit sourire ironique.

- Ça va miss ? J’ai l’impression que vous n’appréciez pas trop la balade ? Je me trompe ?

- Regardez devant vous. Nous voilà bien sans autoroute pour rentrer au Mistral. Par où on va passer ?

- On va essayer de trouver un itinéraire qui soit le plus plat possible. Je ne suis pas certain de pouvoir continuer à rouler si on tombe sur une grimpette un peu trop rude.

Mais Samia ne l’écoute plus. Son regard est fixé sur quelque chose droit devant.

- Boher, vous voyez ce que je vois ?

- Mais… Qu’est-ce que…

Les deux policiers n’en croient pas leurs yeux. Devant eux, à cent mètres, quatre poneys sont en train de s’ébattre dans la neige comme des petits fous. Ils courent, se cabrent, se secouent, repartent. Le spectacle a quelque chose d’irréel et de fabuleusement beau.

- Ça par exemple ! Mais d’où ils sortent ? dit Samia.

- Il doit y avoir un club équestre pas loin. Ils se sont sûrement échappés.

Devant eux les poneys continuent de batifoler en soulevant des gerbes de neige. Samia et Boher se regardent. Malgré eux ils se sourient.

- Vous trouvez pas ça extraordinaire miss ? demande Boher. On est venu ici pour essayer d’identifier de méchants trafiquants et on tombe sur quatre magnifiques bêtes qui jouent dans la neige.

- Si on m’avait dit ce matin que j’allais croiser des poneys en plein Marseille ! sourit Samia. Qu’est-ce qu’on peut faire ? On va les laisser comme ça ?

- Et vous voulez faire quoi ? Les adopter ? Quand ils auront bien goûté à la liberté, ils rentreront sagement chez eux, ils ne doivent pas être bien loin de leur base.

Evidemment il a raison. Néanmoins Samia contacte quand même par radio le commissariat du 11ème arrondissement pour leur signaler le problème et indiquer le nom de la rue où s’amusent les quatre poneys. Ils risquent de provoquer un accident ou d’en être eux-mêmes les victimes. Leurs collègues confirment la présence d’un club hippique dans le coin, ils vont téléphoner tout de suite au propriétaire.

La laguna roule en direction des poneys, qui n’ont pas l’air impressionnés par le véhicule qui s’approche de plus en plus. Boher klaxonne pour les faire partir mais sans succès, il rétrograde pour ralentir. Deux d’entre eux décident finalement de galoper vers une rue adjacente, mais les deux autres se sont figés en plein milieu de la rue et regardent calmement le véhicule arriver droit sur eux. Là ça commence à devenir chaud, Boher ne sait pas s’il va réussir à les contourner.

Au moment où il donne un léger coup de volant à gauche pour les éviter et passer à côté, l’un d’eux décide brusquement de galoper vers cet étrange animal gris foncé, songeant peut être à un nouveau camarade de jeu. Samia pousse un petit cri quand la bête se cabre devant sa vitre. Boher est obligé de braquer brutalement vers la gauche, la laguna quitte sa trajectoire et commence à patiner. Surtout ne pas freiner brusquement ! Il aperçoit un grand portail ouvert sur la gauche, réussit tant bien que mal à diriger son véhicule vers cette ouverture plutôt que vers le mur. Il s’agit visiblement de plusieurs immeubles de bureau dotés d’un grand parking. Malheureusement pour eux, l’entrée du parking en question est en pente descendante. Leur véhicule s’y engouffre avec délectation, et avant même qu’ils aient réalisé ce qui vient de leur arriver, la laguna emportée par son élan se retrouve au fin fond du parking après avoir fait un tête à queue. La « cuvette » où ils ont atterri est noyée sous au moins 25 cm de neige.

Leurs ceintures de sécurité ont empêché les deux policiers de passer à travers le pare-brise mais le choc leur coupe tout de même le souffle durant quelques secondes. Boher est le premier à se ressaisir, défait sa ceinture, se penche vers Samia qui reste immobile, les yeux écarquillés et la bouche ouverte.

- Ça va miss ? Eh Oh ! Mais répondez quoi ! Vous n’avez rien ?

Samia tourne la tête vers lui, il se sent un peu moins inquiet. Il y a un tel affolement dans ses grands yeux noirs qu’il ne résiste pas à sa première impulsion, la prendre dans ses bras.

- Samia ? Hé !! Vous êtes blessée ?

- N…on, je crois pas… dit-elle d’une toute petite voix. Je… je crois que j’ai eu peur c’est tout.

Un soupir de soulagement s’échappe de la poitrine de Boher, machinalement il passe une main dans les cheveux de Samia. Sans réaliser ce qu’elle est en train de faire, elle s’agrippe des deux mains à son blouson, enfouit sa tête contre son torse.

Ils demeurent comme ça quelques secondes. Boher ne sait plus trop où il est, ni comment il y est arrivé, la seule chose qu’il sait, c’est qu’il est bien avec la tête de Samia tout contre lui. Il ferme les yeux pour savourer ce moment.

Mais brusquement, l’instant de grâce s’achève, Samia le repousse brutalement, furieuse tout d’un coup.

- Espèce de…de… d’idiot ! Vous êtes content ? On a failli se tuer à cause de vous !

Boher se secoue.

- Comment ça à cause de moi ? Vous plaisantez j’espère ! Si je n’avais pas de bons réflexes on allait se fracasser contre le mur. Vous devriez plutôt me dire merci !

- Et puis quoi encore ? Que je vous dise merci ? Non mais sans blague ! Comment on va faire maintenant ?

Elle ouvre la portière de la voiture, veut opérer une sortie pleine de dignité, mais dans sa fureur, elle a oublié qu’elle allait poser ses pieds dans la neige. Elle s’enfonce jusqu’au dessus des chevilles, bat l’air de ses bras et s’effondre à plat ventre dans la neige. Tant bien que mal Boher se retient de rire, sort à son tour de la voiture avec beaucoup plus de précaution, en fait le tour et vient se planter devant Samia, les mains sur les hanches. Elle s’est déjà relevée, passe sa manche sur son visage pour en ôter la neige, secoue ses cheveux.

- Eh ben voilà ! J’espère que ce doux contact vous a remis les idées en place ?

Samia hausse les épaules. Ils se dévisagent. Boher a un demi-sourire ironique et Samia le regarde d’un œil noir. Elle a froid de rester plantée comme ça dans la neige, malgré son pantalon chaud et ses bottes fourrées. Brusquement elle tourne le dos à son coéquipier, s’achemine tant bien que mal vers l’immeuble de bureau le plus proche.

- Vous allez où comme ça miss ?

- Ou vous croyez que je vais ? Voir si quelqu’un peut nous aider évidemment.

- Vous êtes idiote ma parole ? Vous voyez des voitures ici en dehors de la nôtre ? Non ! Ce sont des bureaux, avec la neige personne n’est venu bosser ce matin !

Il a sûrement raison mais Samia s’entête, sonne à une entrée puis à une autre, sans aucun résultat. Boher ne l’a pas suivie, il est remonté dans la voiture. Et d’ailleurs, même si elle trouve quelqu’un, que peut-on faire ? Découragée, elle retourne vers la laguna, se rassoit à l’intérieur, ferme la portière. Boher est en contact radio avec Castelli. Il vient de lui expliquer leur situation. Le capitaine leur apprend que c’est la panique au centre-ville, la circulation est totalement paralysée, les rares engins disponibles vont tenter de déblayer les voies d’accès principales mais ça ne va pas suffire. Le capitaine leur conseille de rester où ils sont et de trouver un endroit pour s’abriter.

Les deux policiers se regardent. Samia, calmée, demande à son coéquipier ce qu’il compte faire.

- Ben c’est pas compliqué miss. On laisse la voiture ici puisqu’on ne peut pas la dégager, et on part à pied à la recherche d’un hôtel.

- Mais… vous êtes sûr qu’on ne peut pas essayer de la dégager ? dit Samia d’une toute petite voix.

Il hausse les épaules.

- On n’a pas de pelle. Et même, en admettant que j’y arrive, pas sûr du tout que je réussisse à remonter cette pente sans les chaînes, il n’y a pas assez de place pour que je prenne de l’élan. Allez venez, il y a un hôtel pas loin je crois, on devrait y arriver. Courage miss !

Il récupère dans la voiture le sac à dos dans lequel ils avaient mis les sandwiches, ajoute un thermos de café au cas où, deux bouteilles d’eau, l’appareil photo qu’il ne veut pas laisser dans la boîte à gants. Samia le regarde faire, les bras ballants. Elle a l’air transie et complètement découragée. Il la sent de nouveau vulnérable, doucement il passe son bras sous le sien.

- Ça sert à rien de rester plantés là. Venez, on s’en va.

Pataugeant dans la neige, ils commencent tant bien que mal à remonter vers le portail.

Boher n’a pas lâché le bras de Samia.

 

CHAPITRE 2 – MISSION IMPOSSIBLE

 

L’hôtel Ibis St Menet, habituellement calme et fréquenté uniquement par des VRP et des hommes d’affaires de passage, est en ébullition lorsque Samia et Boher y arrivent. Les voitures stationnées sur le parking de l’hôtel sont entièrement recouvertes par la neige. A l’intérieur c’est la panique. Les clients qui devaient libérer leurs chambres veulent les garder, ceux qui ont réussi à arriver jusqu’à l’hôtel veulent tout de suite les chambres qu’ils ont réservées, d’autres, qui viennent d’atterrir là malgré eux à cause de la neige, pleurent une chambre à tout prix. Derrière son comptoir de réception avec son personnel, le directeur, dépassé par les événements, essaye de gérer la crise au milieu de tous ces gens qui parlent tous en même temps.

Samia, épuisée et frigorifiée, se laisse tomber sur une chaise libre, face à un gros monsieur chauve en train de boire un chocolat chaud et fumant. Il lui jette un regard rapide puis replonge le nez dans sa tasse. L’odeur du chocolat chatouille agréablement les narines de Samia, elle fait signe à un serveur débordé qui court partout, essayant de satisfaire au mieux des clients pour la plupart grincheux. A sa quatrième tentative, elle réussit à attirer son attention, commande un chocolat.

Elle cherche Boher, repère son dos devant le comptoir de réception, il essaye de s’approcher pour parler à un employé sans pour autant y parvenir.

Samia soupire, elle se sent vraiment lasse et découragée. A vol d’oiseau l’hôtel n’était pas bien loin du parking où ils ont été contraints de laisser leur voiture, ils ont aperçu l’enseigne lumineuse en descendant la rue tant bien que mal.

Mais y parvenir fut une autre affaire. La neige a complètement transformé le paysage, on ne distingue plus ni routes, ni ronds points et on ne sait pas trop dans quoi on enfonce les pieds, sans compter quelques rares véhicules, mal guidés par des conducteurs peu sûrs d’eux, qui ont failli leur rouler dessus. Bras dessus bras dessous, tous les deux sont contents d’arriver à l’entrée de l’hôtel après une bonne heure de marche.

Le serveur pose sur la table le chocolat chaud qu’elle a demandé. Samia remercie, enlève les gants trop grands, recouvre la tasse de ses doigts. Le gros monsieur se lève, prend une sacoche à ses pieds et se dirige vers l’ascenseur. Elle met le nez dans la tasse, se laisse envahir par l’agréable odeur du chocolat bouillant et avale avec précaution une gorgée de l’odorant breuvage. Elle se sent mieux.

Boher revient de la réception, s’assoit à côté d’elle, l’air morose. Il regarde Samia déguster son chocolat. Amusé d’un coup, il pense qu’elle a l’air d’un matou satisfait devant un bol de crème.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demande Samia entre deux gorgées, consciente que son coéquipier la regarde.

- Ben rien !

- Vous en voulez ?

Boher fait la grimace. Le chocolat chaud c’est pas vraiment son truc.

- Non merci.

Il arrête au passage le même serveur au bord de la dépression nerveuse et lui demande un lait chaud, et là c’est au tour de Samia de faire la grimace.

Elle repose sa tasse, regarde Boher plongé dans ses réflexions.

- Bon on fait quoi maintenant ?

- J’en sais rien. Impossible de réserver la moindre chambre ici, c’est la panique totale, et le restaurant est déjà complet pour le déjeuner.

- Vous avez insisté au moins ?

- Je leur ai même collé ma carte de police sous le nez, ça leur a fait autant d’effet qu’une carte de membre du Club Mickey.

- Mais qu’est-ce qu’on va faire ? Vous avez demandé ce que prévoit la météo ?

- Oui, c’est pas brillant. Ça risque de durer quelques jours d’après les derniers bulletins.

- J’en ai marre. J’arrive pas à comprendre comment vous, qui êtes du genre grand maniaque des bagnoles, vous avez pu partir en planque sans vérifier s’il y avait bien des chaînes dans le coffre !

- J’ai PAS ouvert le coffre comment il faut vous le dire ! Et en admettant que je m’en sois aperçu, pas sûr que j’en trouve, il n’y en a pas suffisamment au garage pour toutes nos voitures. Pour ce qu’on s’en sert !

Exaspéré, il boit une gorgée du lait chaud que le serveur vient de poser devant lui. Le silence s’installe entre les deux policiers. Samia finit son chocolat en boudant, Boher son lait sans plus se préoccuper d’elle. C’est Samia qui rompt le silence.

- Bon je repose ma question, qu’est-ce qu’on fait ?

- Je propose qu’on s’en aille d’ici et qu’on cherche un autre hôtel.

- Quoi ? On va retourner se geler dehors ?

- Vous avez une meilleure idée ?

- Oui ! Attendre ici que des chambres se libèrent.

- Vous êtes vraiment naïve.

- J’ai pas envie de repartir ! J’en ai marre moi ! Marre de cette mission à la con, marre de ce temps pourri et marre de vous !

Boher se lève brusquement.

- BON ! Après tout, faites ce que vous voulez, moi je ne reste pas là. En remontant l’avenue de St Menet il y a d’autres hôtels, je vais tenter ma chance. Vous avez votre portable ? Moi aussi ! alors on s’appelle ?

Il lui lance la dernière phrase comme s’ils venaient de se croiser dans un cocktail avec une flûte de champagne à la main…

Boher fait signe au serveur, règle leurs consommations, met les tickets dans sa poche pour sa note de frais, attrape le sac qu’il a posé à ses pieds.

- Mais… Vous allez quand même pas me laisser ici ?

- Vous voulez parier ? Vous êtes une grande fille miss Nassri, vous n’avez pas besoin de moi. Au contraire vous en avez marre de moi, alors à plus !

Interloquée, Samia le regarde se diriger vers la porte vitrée automatique de l’entrée. Non, il ne va pas oser !

Elle ne bouge pas de sa chaise, convaincue qu’il ne va pas franchir le seuil. Mais connaissant son coéquipier elle devrait pourtant se douter qu’il est bel et bien sur le point de la planter là.

Têtue, elle ne bouge toujours pas, le regarde passer la porte sans se retourner, mettre son sac à l’épaule et remonter le col de son blouson. Quelques flocons se sont déjà accrochés à ses cheveux blonds. Il se dirige calmement vers la sortie de l’hôtel sans paraître le moins du monde incommodé par le tapis de neige qui recouvre le sol.

Samia réalise d’un coup qu’elle n’a pas envie qu’il la laisse ici, elle ne veut pas rester sans lui dans ce hall impersonnel et bruyant. Elle se lève précipitamment, cours vers l’entrée. Une fois dehors elle le cherche, ne le voit pas tout de suite. Il est déjà loin, vers la sortie du parking. Elle essaye de courir tant bien que mal.

- Boher ! Booooheeeer !! Stop ! Attendez-moi ! Jean-Paul !!! Jeeeeaaan-Paul !!!

En entendant son prénom il s’arrête net, se retourne, regarde Samia qui court maladroitement vers lui. Malgré lui il se met à sourire. C’est bien agréable de voir Samia courir pour le rejoindre en criant son prénom.

Il réussit à ne plus sourire lorsqu’elle est suffisamment proche de lui, croise les bras sur sa poitrine.

- On a changé d’avis miss ? On n’en a plus marre de moi ?

Essoufflée, exaspérée, Samia lui jette un regard noir.

- Vous êtes vraiment un mufle !

- Mufle ? Moi ? Parce que je vous ai laissée dans un endroit bien chaud, assise tranquillement devant une tasse de chocolat ? Mais quel tortionnaire je fais !

D’un coup il se rend compte que Samia la frileuse claque littéralement des dents. Elle n’a pas pris le temps de boutonner sa doudoune, de nouer son écharpe de laine, d’enfiler les gants qu’elle lui a piqués sans lui demander son avis.

La neige, qui commence à se calmer un peu, met tout de même une note blanche dans ses cheveux serrés en queue de cheval, le bout de son nez devient rouge. Il s’approche d’elle, attrape un pan de l’écharpe, l’enroule autour du cou de Samia, ferme son blouson, passe sa main dans les cheveux noirs pour enlever la neige, remonte la capuche du vêtement. Elle se laisse faire. Quand les deux mains de son coéquipier s’emparent des siennes pour les réchauffer, elle ne proteste pas. Elle se demande comment il fait pour avoir les mains si chaudes avec un temps pareil.

Gentiment il lui dit :

- Gardez mes gants, je n’en ai pas besoin. Allez venez, en marchant vous allez vous réchauffer.

Main dans la main comme un couple d’amoureux, et sans que Samia ait prononcé un mot, ils descendent avec précaution vers le rond-point recouvert de neige que l’on distingue à peine, puis se dirigent vers l’avenue de St Menet.

 

CHAPITRE 3 – PROMENADE VIVIFIANTE

 

Deux heures et trois hôtels plus tard, Samia est prête à pleurer. Tout est archi complet, ils ne savent toujours pas où ils vont atterrir pour la nuit, il est évident qu’ils ne pourront ni récupérer leur véhicule, ni revenir au Mistral, il devient urgent de trouver une solution. Boher a rappelé le capitaine Castelli sur son portable, la situation du centre-ville ne s’améliore pas bien au contraire. La neige a cessé de tomber mais il y a environ 20 à 25 cm au sol, aucun engin n’est passé pour déblayer ou saler, les autoroutes sont fermées. Une vraie catastrophe. Quelques véhicules intrépides circulent sur les artères principales, des piétons marchent avec précaution sur les trottoirs recouverts d’une épaisse couche de neige, mais la plupart des marseillais du centre-ville ne sont pas sortis de chez eux.

Les deux policiers ont croisé des gamins heureux de faire des batailles de boules de neige, qui ne se sont d’ailleurs pas privés de les cibler, ravis de l’aubaine ! Samia a pris une boule de neige sur sa capuche, Boher une autre en pleine figure. Il a une furieuse envie d’attraper le gamin qui a si bien visé et de lui administrer une bonne fessée mais il se retient. Pas le moment de s’énerver pour rien. Samia n’a même pas envie de rire en le voyant s’essuyer la figure en marmonnant, elle est à bout de patience.

Quelques amateurs de ski se sont équipés de pied en cap et font de la glisse sur les routes. Au moins, ils ne sont pas obligés de s’enfoncer dans cette maudite neige pour se déplacer. Pour sa part, Samia est en train de prendre la neige en horreur !

Ils viennent de sortir du dernier hôtel qui aurait pu les accueillir, un Novotel. Mais là comme dans les autres, c’est la guerre ! Toutes les chambres sont prises d’assaut, toutes les tables du restaurant sont réservées.

- Bon, il nous reste l’hôtel qui est à la Penne, dit Boher.

- Sans moi ! répond Samia. Pas question que j’aille à pied jusqu’à La Penne ! Ça va pas non ?

Marcher l’a réchauffée mais quand même…

- Allez miss ! Encore un petit effort ! Le café doit être encore chaud dans le thermos, vous en voulez un peu ?

- Vous pouvez tout aussi bien me faire boire du kérosène ! J’en ai assez ! Si on retournait jusqu’à la voiture ?

- Pour faire quoi ?

- Mais j’en sais rien moi ! Se reposer, réfléchir, essayer de sortir quand même la voiture. Je suis crevée, je me suis levée à 5h ce matin pour le brief au commissariat.

Boher évite de lui rappeler qu’il s’est levé à la même heure qu’elle, il la sent prête à hurler, au bord de la crise de nerfs.

- Vous voulez qu’on retourne au Novotel ? Vous pourrez vous installer dans le salon d’accueil pour vous reposer un moment et après on avisera.

- C’est ce qu’on aurait dû faire avant ! crie Samia. Je l’avais dit que c’était pas une bonne idée de ressortir mais vous êtes têtu comme un âne !

Pris par leur discussion, ils n’ont pas remarqué un monsieur alerte quoique d’un certain âge, chaussé de raquettes, des bâtons de ski en main, qui vient vers eux. Il leur sourit en arrivant à leur hauteur.

- Eh bien jeunes gens vous avez des ennuis ? Un problème de voiture je parie hein ? Ah ces jeunes, toujours les fesses tanquées dans les voitures et dès qu’il s’agit de marcher un peu, y a plus personne, tè !

Samia le toise de la tête aux pieds, elle n’est vraiment pas d’humeur à supporter les sarcasmes d’un inconnu, ceux de son coéquipier lui suffisent amplement. C’est Boher qui se charge de lui répondre.

- Bonjour Monsieur. Nous sommes policiers et nous sommes effectivement coincés ici, tous les hôtels sont complets. Par hasard vous ne connaitriez pas une petite auberge ou un endroit qui pourrait nous accueillir ? Peut être quelqu’un qui accepterait de nous héberger pour la nuit ?

L’inconnu lui sourit, désigne ses pieds.

- Dix ans que j’avais pas chaussé les raquettes jeune homme ! Vous vous rendez compte ! Et j’ai l’impression de les avoir quittées hier. Ah ça fait du bien ! Si on m’avait dit que c’est à Marseille que je les remettrais ! Il rit. Vous devriez aller voir le petit château là-bas. Il y a quelques années je me rappelle que les propriétaires louaient des chambres d’hôtes pour les touristes qui font les circuits pédestres dans les collines de Pagnol, peut être qu’ils pourront vous aider ?

Du coup, Samia le regarde avec plus d’attention.

- Oh Monsieur, vous pensez vraiment qu’ils pourraient ? Je suis si fatiguée.

- Vaï petiote, qu’est-ce que ça vous coûte d’aller demander ? C’est pas loin. Du doigt il désigne un petite route sinueuse, tout en zigzags, qui monte vers la colline. On voit pas le château d’ici, il est caché par les arbres. Ils sont bien braves ces gens, s’ils peuvent vous aider ils le feront volontiers.

Samia lui sourit, remercie. Ils se saluent et l’inconnu reprend sa route, dansant sur ses raquettes et visiblement heureux de se balader ainsi dans la neige. Elle envoie la fin de son sourire vers son coéquipier qui pour le coup n’en revient pas.

- On y va ? demande Samia.

- Vous êtes sûre de vouloir grimper là-haut miss ? J’ai l’impression que la notion d’éloignement chez ce brave homme est différente de la nôtre. Apparemment il est habitué à faire des kilomètres à pied. Je le sens pas son château…

- On peut toujours aller voir non ? Mais si vous avez mieux à proposer…

Ragaillardie, voyant presque arriver la fin de cette virée cauchemardesque, elle n’attend pas sa réponse et s’engage avec précaution dans le petit chemin qu’il leur a montré.

Boher soupire, lève les yeux au ciel et lui emboîte le pas. C’est toujours comme ça avec elle ! Grande gueule, ne faisant que ce qu’elle veut, et s’y entendant comme personne à le mener par le bout du nez la plupart du temps. Il en est encore à se demander pourquoi il cède aussi souvent ? Parce qu’il en a marre de leurs prises de bec ou parce qu’il est de moins en moins capable de lui résister ? Quelqu’un oserait lui dire qu’il est amoureux d’elle se ferait vertement remettre en place. Jusqu’à présent la seule à avoir osé, c’est Estelle. Ce jour-là il avait réussi à rester calme et à lui répondre qu’elle se fourrait le doigt dans l’œil, mais il n’est pas persuadé d’avoir été bien convainquant. Peut-être voulait-il se convaincre lui-même d’ailleurs ? Mais il a encore en mémoire l’épisode Zecco qui lui a mis le cœur en miettes et qui lui a réellement fait comprendre la place que Samia a pris dans sa vie. Il n’arrive pas à appeler ça de la souffrance, rien que le mot le fait bondir. Et pourtant…

Quand il la voit arriver le matin au commissariat, il sent son cœur s’accélérer dans sa poitrine, ses mains devenir moites. Alors il se reproche sa faiblesse envers une fille de 21 ans qui ne le verra jamais autrement que comme un collègue lourdingue de dix ans son aîné, et la tristesse le rend agressif la plupart du temps. Quand il est en forme il s’en sort grâce à une ironie mordante qu’il arrive à manier avec aisance, mais parfois il en a assez de lutter contre lui-même, d’autant que lorsqu’ils commencent à s’engueuler, il n’a plus qu’une envie, lui sauter dessus et lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elle crie grâce !

Ces derniers temps il s’est même débrouillé pour la voir le moins possible, se faisant remplacer par un collègue lorsque Samia est de service et jonglant avec les plannings pour qu’ils soient le plus souvent en horaires décalés, dans le but d’éloigner de lui le doux supplice de tantale qu’elle représente. Mais le remède a été pire que le mal, même lorsqu’elle n’est pas là il la voit dans tous les recoins du commissariat. C’est à devenir fou.

Alors quand Castelli les met en binôme sur cette affaire de stupéfiants en leur faisant comprendre qu’ils n’ont pas le choix, il ne sait plus s’il doit se réjouir ou se désespérer. Les deux probablement ?

Perdu dans ses pensées, il l’a laissée prendre de l’avance, sursaute quand il entend :

- Hou hou ! Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous venez oui ou non ?

Il accélère le pas et revient à sa hauteur.

Au bout d’une demi-heure à patauger dans la neige vierge, pas le moindre petit château en vue.

- Je vous l’avais dit miss ! En admettant qu’il existe ce château, ça doit être à des kilomètres.

- Boher ça fait des heures qu’on marche alors un peu plus un peu moins.

- Eh ben dites donc, pour quelqu’un qui ne voulait plus bouger je vous sens sacrément en forme d’un coup !

- Normal que je récupère vite, je suis plus jeune que vous ! Mais c’est vrai que je n’aime ni la neige ni le froid.

Touché ! Elle ne lui a même pas dit ça pour le vexer, c’est une simple constatation. Et c’est encore pire. Il ne répond pas, continue de marcher.

- Boher ?

- Mmm ?

- Finalement c’est beau non ?

- Quoi ?

- Mais le paysage. On dirait une carte postale de Noël. En ville la neige ça fait de suite sale, mais ici je trouve que c’est superbe.

Il hésite puis se lance.

- En Alsace tout est enneigé pour Noël. Même dans les villes je trouve que c’est beau, on se promène, on fait les marchés de Noël en plein air et de temps en temps, on s’arrête pour se réchauffer en buvant du vin chaud à la cannelle et on mange du pain d’épices.

Samia se met à rire.

- Mais vous me faites une séquence nostalgie là !

Boher se traite intérieurement d’idiot et ne répond pas. Il aurait dû se douter que ses souvenirs d’enfance ne l’intéressaient pas. Elle s’arrête brusquement de marcher.

- Ouf ! Ça grimpe dites-donc. Elle est essoufflée, un nuage de buée sort de sa jolie bouche.

- De toute manière, maintenant qu’on est là autant continuer, répond Boher sèchement en poursuivant son chemin.

Surprise, Samia le regarde s’éloigner. Mais qu’est-ce qu’il a encore ? J’ai dit quelque chose de mal ? C’est tout le temps pareil avec lui, toujours à passer d’un extrême à l’autre. C’est pénible. Un vrai cyclothymique ce mec !

Sans plus chercher à comprendre elle se remet en route, le rattrape. Il marche d’un pas vif, le regard fixé sur les arbres enneigés.

Au détour d’un virage, ils voient enfin apparaître une jolie petite bâtisse à deux tours datant probablement du dix-huitième, entourée par des grilles. Un portail ancien en fer forgé décoré, un bassin ovale muni en son centre d’un lion de pierre rugissant en silence, une allée menant à une volée de marches majestueuses et une grande porte en bois à double battant. Le petit château a l’air tout endormi sous la neige mais quelques volets sont pourtant ouverts, signe d’une probable présence à l’intérieur. Saisis, Samia et Boher s’arrêtent devant le portail, se dévisagent.

- Qu’est-ce qu’on fait ? demande Samia.

- Maintenant qu’on est là, autant aller voir non ?

Boher cherche vainement une sonnette, ou une clochette à l’ancienne pour signaler leur présence, mais ne trouve rien. Il pousse le portail qui ne résiste pas, il n’est pas fermé. Pas un grincement, il est apparemment bien entretenu. Ils franchissent tous les deux le seuil, commencent à marcher dans l’allée vers le bassin. Sans se concerter ils ont ralenti l’allure, regardent tout autour d’eux dans l’espoir de rencontrer quelqu’un, mais il n’y a personne en vue. Samia s’arrête pour admirer la façade.

- C’est joli vous ne trouvez pas ?

- Oui c’est vraiment très beau. On aurait dû demander au vieux s’il savait le nom des propriétaires. Je me demande à qui ça appartient ?

- Pas au smicard du coin c’est certain. Ça doit être agréable de vivre au calme dans un endroit pareil. En tout cas, faut connaître pour arriver jusqu’ici.

Boher ne répond pas. Dans un flash il s’imagine au coin d’une belle cheminée ancienne, devant un bon feu de bois odorant avec Samia blottie tout contre lui. Il respire un bon coup : calme-toi mon vieux, on dirait que cet endroit est propice aux fantasmes et c’est mauvais pour toi…

Ils contournent le bassin, montent les marches. Un grand heurtoir en cuivre bien astiqué orne l’épaisse porte en bois. De nouveau Boher et Samia se regardent, puis Boher se saisit du heurtoir et frappe. A sa grande surprise, la porte s’entrebâille immédiatement, elle n’est pas fermée. Il fronce les sourcils.

- Je commence à trouver ça bizarre, pas vous ?

- J’en sais rien… Samia se rend compte qu’elle chuchote, impressionnée malgré elle.

Sans plus se poser de questions, Boher met le sac à dos par terre, descend la fermeture éclair de son blouson fourré, saisit son arme de service qu’il porte en holster et enlève la sécurité.

- Boher mais qu’est-ce que vous faites ?

- Y a un truc que je sens pas.

- Ah oui, toujours votre fameux flair hein ?

- Dites ce que vous voulez Nassri, en attendant il m’a plusieurs fois aidé mon flair. Et là je suis sûr que quelque chose n’est pas normal.

Samia se dit qu’il a peut-être raison, mais ne répond pas. D’un coup, elle sent monter en elle le petit picotement agréable qu’elle ressent toujours quand elle prend conscience d’un danger. Décharge d’adrénaline, stress positif ? Elle ne sait pas trop. Ce dont elle est sûre c’est qu’elle aime cette sensation d’urgence et son cœur qui s’accélère. Loin de la paralyser, elle a toujours l’impression qu’une action imminente et potentiellement dangereuse a le don de la stimuler.

Elle imite son coéquipier, plonge la main à la recherche de son arme, ôte sa capuche de sa tête pour être plus à l’aise.

Du pied, Boher repousse complètement le battant de porte. Arme au poing, il pénètre à l’intérieur de la bâtisse, Samia sur les talons.

 

CHAPITRE 4 – SEULS !

 

Sans se concerter, leurs réflexes 100 % flics activés, ils se séparent en franchissant le seuil. Samia essaye de se remémorer à fond ses cours à l’école de police, applique scrupuleusement toutes les techniques qu’on lui a enseignées pour ne pas se laisser surprendre dans un endroit clos susceptible d’être hostile, tout en protégeant un coéquipier.

Elle crie : - Police, y a quelqu’un ? Montrez-vous s’il vous plait !

Pas de réponse.

Ils sont dans un grand vestibule recouvert de tomettes anciennes. Ça et là, quelques tapis chinois mettent une note chaude et colorée. Aux murs, des portraits d’ancêtres les regardent sévèrement. Devant eux, un immense escalier à double révolution aux marches douces conduit au premier étage. Un imposant lustre en bronze est suspendu au plafond.

Centimètre par centimètre, ils progressent chacun d’un côté du vestibule sans qu’aucun signe d’une quelconque présence se manifeste. Boher ouvre avec précaution une porte à double battant sur la droite. Devant lui, un grand salon décoré en style baroque, avec à l’intérieur des plantes vertes soigneusement entretenues. Une porte coulissante en bois précieux sépare ce salon d’une salle à manger munie d’une table monumentale où trônent de grands chandeliers en argent.

De son côté, Samia tombe sur un charmant boudoir tout tapissé de rose, meublé en style second empire, puis une bibliothèque dont les murs sont entièrement recouverts d’ouvrages, de grands fauteuils en cuir à oreilles et des chaises de repos en constituent l’ameublement principal. Derrière le grand escalier, quelques marches descendent vers une immense cuisine munie de tout l’équipement moderne, d’une grande table d’hôte, d’une impressionnante batterie de casseroles en cuivre soigneusement astiquées et fixées au mur. Une porte donne sur un cellier où s’entassent des provisions pour soutenir un siège, et une buanderie équipée elle aussi de tout le confort moderne. Depuis la cuisine, une porte-fenêtre donne sur un petit parc à la française dont les buis bien taillés recouverts de neige créent des formes fantomatiques. Samia remarque que la porte-fenêtre est fermée à clé de l’intérieur, une grosse clé ancienne est engagée dans la serrure. Elle colle son nez aux carreaux pour regarder dehors. Rien ne bouge dans le parc, personne en vue.

- Nassri ?

- C’est clair de mon côté, répond Samia en revenant dans le hall.

- Clair du mien aussi ! OK on monte.

Avec un bel ensemble, chacun d’un côté de l’escalier, ils commencent à monter les marches. Boher garde un œil vers la grande porte d’entrée qu’il a refermée doucement, Samia fixe attentivement le premier étage.

Leurs pieds s’enfoncent dans un grand tapis qui couvre toute la longueur de la coursive, ils ouvrent tour à tour les portes de six chambres avec chacune une salle de bains attenante, d’une grande lingerie remplie de draps, nappes, serviettes etc. le tout soigneusement repassé, rangé et sentant bon la lavande, et enfin d’une nurserie/salle de jeux pour enfants qui visiblement n’a pas servi depuis longtemps car il y règne un ordre parfait.

Samia abaisse son arme, dévisage son coéquipier.

- Bon, je crois qu’on a tout visité non ? Rien d’anomal, pas de cadavre dans un placard. Alors ? Et votre fameux flair ?

Boher a imité Samia, baissé son arme. Mais il ne se déride pas pour autant.

- Dites ce que vous voulez, il n’empêche que je sens un truc pas net. C’est pas normal qu’il n’y ait personne et que rien ne soit fermé même pas la porte d’entrée.

- Ben ils ont dû aller faire des courses ce matin et ils ont été surpris par la neige, voilà.

- Vous laissez votre porte ouverte vous, quand vous aller faire vos courses ?

- N…on mais… Peut être qu’ils pensaient faire juste un aller/retour ? Et puis c’est quasiment la campagne ici, les gens sont forcément moins stressés qu’au centre-ville question insécurité.

Il lève les yeux au ciel, renonce à polémiquer. Son instinct lui crie que quelque chose ne va pas mais quoi ? Il n’en sait rien au juste. Il sort son portable de sa poche.

- Qu’est-ce que vous faites ?

- J’appelle Castelli pour qu’il se renseigne sur cette bâtisse, qu’on sache au moins qui en est le propriétaire.

- Et ça va vous servir à quoi ?

- Peut être à comprendre ce qui se passe, lui répond Boher, agacé.

Samia hausse les épaules et s’engage dans l’escalier pour redescendre dans le vestibule. Se faisant, elle enlève sa doudoune et son écharpe, elle commence à avoir trop chaud. Des radiateurs discrètement disséminés démontrent que les propriétaires sacrifient au confort moderne du chauffage central et que ledit chauffage fonctionne, signe évident pour Samia que les habitants ne doivent pas être bien loin.

Elle s’assoit dans un grand confident posé dans un coin, promène ses yeux sur les portraits qui ornent les murs. Que des portraits d’hommes et de femmes au port altier, dans leurs plus beaux atours, respirant la réussite sociale. L’un d’eux attire particulièrement son attention. L’artiste a représenté une belle femme brune aux cheveux dénoués, aux yeux pétillants, à la peau de miel, dans une toilette de bal qui laisse à nu ses épaules. Samia admire la finesse de la dentelle ornant le décolleté, on dirait que la poitrine de la femme est mise en valeur par un écrin. Le peintre qui a fait ce portrait avait sûrement un grand talent tellement la dentelle a l’air réelle, et le regard de cette femme intense. On dirait un peu Sissi impératrice, la crinoline en moins. Fascinée par le tableau elle n’entend pas Boher redescendre, sursaute quand il lui adresse la parole.

- J’ai pas eu Castelli il est parti à pied avec Madigan à la mairie d’arrondissement pour une réunion de crise. J’ai demandé à Jean-François de se renseigner sur ce château. J’espère qu’il trouvera quelque chose.

- Et s’il ne trouve rien ? On n’a même pas le nom du domaine.

- Des bâtisses comme ça dans le coin à mon avis y en a pas cinquante.

- Et on fait quoi en attendant ?

- On reste là. Un domaine qui a l’air abandonné avec des tas d’objets de valeur à l’intérieur mérite que deux flics en assurent la sécurité non ? Je ne m’en irai pas d’ici avant d’avoir une explication logique.

- On aura l’air malin si on tombe sur les proprios rentrant de faire des courses, avec des sacs d'hypermarché dans les mains !

- Je ne demanderais pas mieux. Comme ça on pourrait leur expliquer que c’est vraiment pas prudent de partir comme ça en laissant les portes ouvertes. Et puis vous voulez aller où exactement ? On cherchait un endroit pour nous abriter on l’a trouvé ! Si ces gens arrivent, m’étonnerait qu’ils refusent l’hospitalité à deux flics en panne de bagnole, surtout avec toutes les chambres qu’il y a au premier étage.

Samia s’abstient de lui répondre, mais reconnait in petto qu’il a raison. Il a souvent raison d’ailleurs, c’est exaspérant parfois. Force lui est de constater que son instinct et son flair digne d’un chien de chasse sont rarement pris en défaut mais elle préfèrerait se laisser hacher menu que de le lui dire. Elle sent aussi que quelque chose n’est pas normal et se demande pourquoi elle cherche à le contrarier. Pour le faire sortir de ses gonds probablement. Mais jusqu’à présent sans résultat.

Elle regarde son coéquipier ôter son blouson et le poser sur une bergère. Dessous il porte un chandail noir virilement décoré par le cuir marron de son holster, et un pantalon de même couleur. Il fait le tour du vestibule, regarde lui aussi les portraits accrochés aux murs. Comme Samia, il s’arrête devant celui de la femme brune, croise les bras sur sa poitrine et recule un peu pour mieux admirer la toile. Cinq minutes plus tard il n’a toujours pas bougé, plongé dans sa contemplation. Samia se lève et vient le rejoindre.

- Elle est belle vous ne trouvez pas ?

- Très belle.

- Je me demande qui ça peut être ?

- Quelqu’un qui vivait probablement ici dans les années 1910-1920.

Samia le regarde d’un air amusé.

- Qu’est-ce que vous en savez ?

- Ses vêtements. Ce sont ceux de cette époque je pense.

- Vous vous intéressez à l’histoire et aux vêtements féminins vous maintenant ? ironise Samia.

Sans paraître l’avoir entendue, il continue à parler en regardant le portrait.

- Elle était probablement mariée au châtelain de l’époque. Elle aimait les fêtes, la vie mondaine, elle était sûrement amoureuse de son mari. Il soupire. Qu’est-ce que tout ce bonheur a bien pu devenir pendant la grande guerre ? Mystère. J’espère pour elle qu’elle a su le protéger.

Sa coéquipière le fixe d’un air ahuri.

- Boher mais vous êtes pas bien ? Qu’est-ce que vous pouvez savoir de la vie d’une femme morte depuis des années ?

- Vous l’avez observée ? Elle est en toilette de bal, elle a un regard fascinant, heureux, amoureux je dirais même. Avec ses cheveux dénoués on dirait… qu’on a fait un portrait instantané pendant qu’elle était en train de se déshabiller en revenant d’une soirée, avant de se donner à un homme… Là, elle vient juste d’ôter les épingles qui retenaient son chignon, après avoir enlevé ses bijoux. Vous avez remarqué qu’elle n’en porte pas ? Sauf son alliance qu’elle ne devait jamais ôter. L’homme qu’elle aimait était sûrement son mari. Elle devait vraiment être très heureuse, regardez comme ses yeux pétillent. Le peintre qui a fait ce tableau devait avoir beaucoup de talent… et il était probablement amoureux de son modèle. Une femme comme elle devait forcément fasciner tous les hommes qu’elle rencontrait, ils devaient tous jalouser celui qu’elle avait choisi.

Samia écarquille les yeux et regarde Boher comme si elle ne l’avait jamais vu. Elle est en train de se laisser bercer par sa voix, par ce qu’il dit. Jamais elle ne l’aurait cru capable d’un tel discours sur le portrait d’une inconnue, avec des propos qui ressemblent fortement à une litanie amoureuse.

Il ne dit plus rien, fixe toujours le tableau, le nez en l’air et ses cheveux blonds en bataille. Samia regarde son profil qui se découpe dans la lumière chaude du vestibule. Pour la première fois, elle se dit qu’elle est peut être passée à côté de quelque chose depuis deux ans qu’ils travaillent ensemble.

Brusquement la magie de l’instant se termine. Boher baisse la tête, regarde Samia et se rend compte qu’elle le fixe d’un air ahuri. Il pivote pour tourner le dos au portrait de la belle inconnue.

- Qu’est-ce qu’il y a Nassri ? Vous pensiez que je n’étais pas capable d’apprécier un tableau c’est ça ? Ben vous vous êtes trompée.

C’est la voix ironique du Boher de tous les jours. Curieusement Samia en est soulagée, elle se retrouve en terrain connu et elle préfère ça.

Sans attendre de réponse, il se dirige vers la porte d’entrée qu’il ouvre pour récupérer le sac à dos posé à terre. Il claque de nouveau la porte peut être un peu plus fort que nécessaire et se dirige vers la cuisine, son sac en bandoulière à l’épaule.

- Vous n’avez pas faim Nassri ? Moi si ! Marcher m’a creusé l’appétit et on a une quantité de sandwiches dans ce sac pour nourrir tout un commissariat. Qu’est-ce qui vous a pris d’en faire autant ? Vous m’aimez tellement que vous comptiez passer plusieurs jours avec moi c’est ça ?

Samia soupire.

- Qu’est-ce que vous pouvez être lourd ! Mais c’est vrai que j’ai faim.

Elle est rassurée de retrouver le coéquipier bourrin qu’elle connait bien. Comment réagir avec un Boher romantique capable de tomber amoureux d’une morte rien qu’en voyant son portrait ? Elle lui emboîte le pas.

 

CHAPITRE 5 – L’OURAGAN DE LA COLÈRE

 

Dans la grande cuisine, Samia est en train de se préparer un expresso pendant que son coéquipier, assis à la grande table de chêne massif, attaque son troisième sandwich. Pour sa part un sandwich poulet/salade a suffi à la rassasier. Boher en a mangé un aussi, il a enchaîné avec un autre au saumon, et là il attaque…

- Putain Nassri c’est quoi cette saloperie ?

Elle se retourne, sa tasse à la main. Boher a jeté sur la table le pain dans lequel il vient de mordre à pleines dents.

- Des tranches fines de blanc de dinde avec de la mayonnaise. Pourquoi vous n’aimez pas ?

- C’est dégueulasse vous voulez dire. Je croyais que c’était du jambon !

- Je ne mange pas de porc, depuis qu’on bosse ensemble vous devriez le savoir non ?

- Mais moi si ! Et j’adore la charcuterie figurez-vous.

- Ça j’avais remarqué. Dans ce cas fallait préparer la bouffe vous-même, comme ça vous auriez choisi ce que vous aimez. Mais non vous n’avez pas daigné vous en occuper ! C’est du boulot pour les nanas de faire les sandwiches hein ?

- Le partage des tâches vous connaissez Nassri ? J’ai fait trois thermos de café.

- Parlons-en de votre café, il est à vomir !

- Alors pourquoi vous en avez bu ?

- Parce que c’était chaud et que j’étais gelée ! Voilà pourquoi !

- J’avais bien dit au capitaine que c’était une mauvaise idée cette mission.

- Alors là je suis bien d’accord avec vous pour une fois. Vous n’aviez qu’à planquer avec Boukhrane, au moins vous y auriez regardé à deux fois avant de lui pourrir la vie.

- Il est aux basques d’un dealer depuis trois semaines vous devriez le savoir.

- Dommage ! Parce que si vous lui faisiez le quart des réflexions que vous me faites, il vous aurait mis son poing dans la figure.

Samia sort de la cuisine comme une tempête, se retrouve au pied du grand escalier. Elle en a assez. Coincée par la neige avec Boher dans cet endroit pourtant agréable, c’est un vrai cauchemar. Elle va vers le confident où elle a posé ses affaires, récupère sa doudoune, son écharpe, jette par terre avec rage les gants de Boher et se dirige vers la porte.

- Nassri qu’est-ce que vous faites ?

- Je m’en vais. J’en ai assez de vous. Vous avez raison on n’a rien à faire ensemble et on n’aurait jamais dû nous mettre tous les deux sur cette mission.

- Et vous comptez faire quoi ?

- Je retourne à la voiture. Je trouverai bien un moyen de la sortir de là.

- Vous n’oubliez rien Nassri ?

Elle se retourne, regarde son coéquipier planté devant l’escalier. Dans sa main droite il agite… la carte de démarrage de la voiture. Sans ce petit objet grand comme une carte de crédit, impossible d’ouvrir les portières et d’utiliser la laguna. Elle ne pourra même pas entrer à l’intérieur pour s’y abriter.

Samia prend une grande inspiration, essaye de se calmer.

- Donnez-moi ça.

Sans même daigner lui répondre, il lui tourne le dos, se dirige à pas comptés vers la bibliothèque dont la porte est restée ouverte, tout en remettant le précieux sésame dans sa poche.

- Désolé Nassri mais c’est non, lui jette t-il sans daigner se retourner. C’est moi qui suis le plus gradé donc c’est moi qui prend les décisions. Je ne vous laisserai pas faire n’importe quoi avec un véhicule de fonction payé par le contribuable. Si vous voulez retourner vous geler les fesses dehors après m’avoir pleurniché dans les oreilles une bonne partie de la matinée pour qu’on trouve un abri, à votre aise. Mais la voiture restera où elle est.

Samia se précipite à son tour dans la bibliothèque, se dirige à grands pas vers son coéquipier qui vient de soulevez une tenture pour regarder dehors par une porte fenêtre, s’agrippe à son chandail et tente de plonger une main dans la poche de son pantalon. Il se retourne, la repousse sans brutalité mais de nouveau elle se précipite sur lui, essaye à nouveau de récupérer la carte dans sa poche.

- Mais vous allez me donner cette carte espèce d’abruti congénital ?

Une gifle magistrale retentit. Le souffle coupé, Samia se tient la joue. Les yeux écarquillés elle regarde Boher dont les yeux étincellent de colère.

- C’est parti tout seul Nassri. Désolé ! Mais bon sang que ça fait du bien. J’en ai marre de vos insultes alors maintenant vous allez vous calmer et je ne vous donnerai pas cette carte compris ?

- Espèce de salaud ! Comment avez-vous osé me frapper ? Je vais porter plainte vous entendez ? Je vous réduirai en miettes espèce de sale flic borné. Je vous déteste !

Elle a hurlé la dernière phrase en se jetant sur lui toutes griffes dehors comme un chat en colère.

Il lui attrape les deux poignets, essaye de la maîtriser mais la rage décuple ses forces.

- Ça suffit ! Mais vous allez vous calmer oui ? Aie !

Elle vient de lui lancer un grand coup de pied dans le tibia. La douleur lui fait plier les genoux et perdre l’équilibre, entraînant Samia dont il tient toujours les poignets serrés entre ses doigts. Ils tombent tous les deux sur le moelleux tapis persan qui recouvre le sol. Boher se retrouve allongé sur le dos, avec au-dessus de lui une Samia folle de rage qui essaye de libérer ses poignets et qui s’agite comme un démon dans un bénitier.

- Lâchez-moi ! Mais vous allez me lâcher ?!

Il ne lui répond pas, inquiet tout à coup des réactions de son propre corps au contact de celui de Samia qui continue à se démener pour lui faire lâcher prise. Force lui est de constater que cette lutte est en train de l’exciter au plus haut point et que quelque chose est en train de se passer du côté de son bas-ventre. Il serre les dents, essaye de résister. Mais tout à coup, il sent le corps de Samia se laisser aller sur le sien, il se retrouve avec la tête dans le cou de la jeune femme, en train de respirer son odeur, son parfum ambré, à apprécier la douceur de sa peau. Grisé, il ferme les yeux, lâche machinalement les poignets de Samia, quand tout à coup il sent un objet froid contre sa tempe. Elle a sorti son arme de service.

- Donnez-moi cette carte… tout de suite.

Petite futée pense t-il sans même s’affoler.

- Non.

- Non ? répète Samia ironique. Vous êtes sûr ?

- Oui je suis sûr. Vous n’allez pas tirer sur moi. Quand on menace les gens avec une arme on commence par en ôter la sécurité. Vous êtes peut être une emmerdeuse Nassri, mais vous n’êtes ni une folle ni une meurtrière alors lâchez ce flingue parce que vous ne me faites pas peur et qu’on sait bien tous les deux que vous n’allez pas vous en servir.

Il a chuchoté directement dans l’oreille de Samia, profitant au passage pour goûter de ses lèvres la peau de cette mignonne petite oreille. Samia sursaute. Avant même qu’elle ait réalisé ce qui lui arrive, il l’a faite basculer sous lui. Il se retrouve pesant de tout son poids sur elle, haletant comme s’il venait de finir un marathon. Sans même s’en rendre compte, elle a lâché son arme, recommence à s’agiter violemment sous lui.

- Lâchez-moi !

Il ne répond pas, cherche à nouveau son cou, y enfouit sa tête, ne résiste pas à l’envie d’y promener ses lèvres et sa langue. De nouveau il enserre ses poignets dans ses doigts, l’oblige à étirer ses bras au-dessus de sa tête.

Samia se cambre sous ses baisers. Se faisant, impossible qu’elle puisse encore ignorer l’érection de son coéquipier. Elle continue à s’agiter mais avec surprise et délectation. Elle sent une étonnante sensation de volupté en train de naître dans son ventre. Plus elle s’agite pour lui échapper et plus elle a envie qu’il la prenne, là, sur le tapis. Sa poitrine commence à se soulever plus rapidement, un gémissement qu’elle ne peut pas contrôler lui échappe. Il se rend compte immédiatement de ce qui se passe, se jette comme un affamé sur la bouche de Samia. Le baiser est brutal, leurs dents s’entrechoquent, leurs langues se cherchent. L’excitation de Samia monte encore d’un cran. Ce n’est plus un baiser, c’est un vrai ballet érotique qu’ils doivent impérativement mener jusqu’à sa conclusion. C’est tout juste si Samia réalise qu’il est en train de lui enlever son pantalon avec des gestes de prestidigitateur. La main de Boher s’égare sur le ventre mis à nu de la jeune femme, descend plus bas. La caresse la fait gémir encore plus fort mais c’est tout juste si elle réalise que c’est sa propre voix qu’elle entend, qu’il a su faire naître au plus profond d’elle-même un véritable chant d’amour qui existe depuis la nuit des temps et avec lequel elle est en train, malgré elle, de le supplier pour qu’il possède son corps. Elle continue d’agiter sa tête dans tous les sens, des larmes éblouies roulent sur ses joues, et dans un grand cri, elle accueille enfin la pointe extrême de ce désir qui va la fouiller jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’elle hurle son plaisir sans retenue, comme toutes les femmes de ce monde passé, présent et à venir quand l’homme qu’elles ont décidé d’accueillir en elle les fait jouir jusqu’à ce qu’elles en oublient jusqu’à leur nom, et jusqu’au lieu où elles se trouvent.

 

CHAPITRE 6 – UNE RENCONTRE

 

Boher a fait flamber un bon feu dans la bibliothèque. A côté de la cheminée il a trouvé tout le nécessaire, y compris du bois dans un grand panier d’osier. L’odeur agréable du bois en train de brûler se mêle à celle des corps en sueur.

Le temps s’est arrêté dans la pièce. Dehors la neige recommence à tomber mais c’est tout juste s’ils s’en sont aperçus. Ils sont enlacés dans un grand canapé anglais devant le feu qui rougit leurs peaux nues. Il a trouvé un plaid posé dans un coin pour réchauffer le corps frissonnant de Samia. Ils ont fait et refait l’amour, découvert, après la passion, que la tendresse peut les conduire à un orgasme tout aussi puissant. Leurs corps sont complémentaires, s’accordent parfaitement, comme s’ils étaient créés rien que pour ça. Chacun s’est attaché à répondre au désir de l’autre, à donner du plaisir à l'autre, sans tabous ni interdits. Tour à tour le tapis, le grand fauteuil à oreilles, le canapé en cuir ont servi à leurs ébats. Il l’a même prise debout contre la porte-fenêtre, les petites mains de Samia agrippées aux tentures au risque de les décrocher.

Jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus ni l’un ni l’autre, qu’une irrésistible envie de dormir les gagne. Alors il a lové Samia dans le grand canapé, ils se sont allongés pour s’endormir, serrés l’un contre l’autre comme des siamois, leurs jambes emmêlées, leurs doigts entrelacés. Il a couvert de baisers les minces poignets où des bleus sont apparus, stigmates de leur lutte érotique. De sa langue elle a léché la griffure qu’elle a laissée sur sa joue avec ses ongles. Puis elle a niché sa tête au creux de son épaule, le nez dans son aisselle pour mieux sentir son odeur, et elle s’est endormie paisiblement. Avant de sombrer à son tour, il a le temps de penser à l’image qui le hantait quelques heures plus tôt, Samia et lui, enlacés devant un bon feu. Il sourit de bien être, et il s’endort.

Une sensation étrange réveille Boher en sursaut. La sensation d’être observé. Instantanément il se redresse, regarde autour de lui. Personne. Dans ses bras Samia s’agite, proteste d’être ainsi tirée de son sommeil, ouvre les yeux. Ils se regardent. Il est inquiet, se demande comment elle va réagir après toute cette folie érotique. Avec son caractère il a peur qu’elle ne recommence à lui cracher sa haine à la figure. Mais c’est un sourire qui vient illuminer le visage de Samia, un magnifique sourire de tendresse qui fait briller ses yeux. Ils se fixent comme se sont fixés avant eux tous les hommes et les femmes de ce monde qui ont senti leur vie basculer, au seuil de la grande aventure de l’amour.

- Salut, sale flic borné, chuchote Samia.

- Salut, sorcière aux ongles pointus, répond-il sur le même ton.

Ils échangent un baiser léger, elle l’enlace, blottit sa tête contre son cou.

- Samia ?

- Oui ?

- Le tableau de la femme brune, dans le vestibule…

- Eh bien ?

- Tu sais pourquoi je l’aime tant ?

- Non je ne vois pas.

- Parce qu’elle te ressemble. Et elle a un tel amour dans le regard que je pensais que…

- Que quoi ?

- Que jamais tu ne pourrais me regarder comme ça.

Pour toute réponse elle se serre encore plus fort contre lui avec un soupir de bonheur, il caresse ses longs cheveux dénoués.

Tout à coup elle se redresse dans ses bras.

- Tu ne sens rien ?

- Je ne sais pas… Si, peut être. On dirait que ça sent le parfum non ? C’est sûrement le tien.

- Non, ce n’est pas le mien. C’est bizarre jusqu’à présent je n’avais pas senti cette odeur ici.

- Parce que tu étais occupée à autre chose… et moi aussi.

- Je ne plaisante pas. Ça sent un parfum féminin. Et ça sent bon, tu ne trouves pas ?

- Si ! Il se lève, la prend dans ses bras, la soulève pour l’emporter hors de la bibliothèque.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?

Il se dirige vers l’escalier, le monte, toujours avec Samia dans les bras.

- Tu n’as pas envie d’un bain ? Moi oui.

- Mmm… Un bain ? Pourquoi pas…

Elle colle sa bouche à son oreille.

- Tu vas me laver ?

- Oui miss !

- Me savonner le corps, promener sur moi tes mains pleines de savon pour que je sois bien propre ? Alors je te préviens que je vais en faire autant. Je sens que vous êtes très très sale monsieur le brigadier.

Il déglutit péniblement, sentant le désir renaître au creux de ses reins. Ils savent d’avance tous les deux comment va se terminer le bain en question. Rien que d’y penser, il accélère le pas, entre dans la première chambre dont la porte s’ouvre sous son pied, et se précipite dans la salle de bains…

Boher est allongé dans la grande baignoire ancienne remplie de mousse, Samia assise sur lui, le dos abandonné contre son torse. Ils ont trouvé tout ce qu’il fallait pour leur faciliter la tâche : savon liquide, serviettes propres… Le bain s’est transformé en un jeu sensuel qui n’a pas tardé à leur remettre les sens en feu, feu qu’ils se sont empressés de satisfaire. Et pendant de longues minutes la salle de bains a retenti des gémissements doux d’une femme amoureuse.

- Samia, il faudrait qu’on sorte de là non ?

- Oui il faudrait. Mais je n’en ai aucune envie.

- Et pourtant il va bien falloir, ou on va se retrouver avec une peau tellement fripée qu’on va avoir l’air de deux sharpeïs !

Elle éclate de rire, se redresse dans une grande gerbe d’eau, enjambe le rebord de la baignoire et se saisit d’une serviette pour s’essuyer, tout en promenant machinalement son regard autour d’elle.

Brusquement, ses yeux s’attardent sur un gros flacon de parfum posé sur le rebord de la baignoire. Occupée à tout autre chose lorsqu’elle est entrée dans la pièce dans les bras de Boher, elle ne l’avait pas remarqué.

Elle se saisit du flacon, ôte le bouchon et respire le liquide ambré à l’intérieur.

- Mais c’est ça que j’ai senti tout à l’heure dans la bibliothèque ! Bien sûr ! L’heure bleue de Guerlain ! Mais comment j’ai fait pour ne pas le reconnaître ? J’aime ce parfum.

Boher, toujours allongé dans la baignoire, ouvre les yeux qu’il avait fermés, tout près de se rendormir. Il sourit à Samia.

- C’est ton parfum ?

- Oui… Non… Enfin, de temps en temps, quand j’ai les moyens de me le payer.

Il la regarde. Comme elle est belle avec sa peau dorée encore pleine de gouttelettes, enroulée dans sa serviette de bain. Elle promène le bouchon odorant à l’intérieur de ses poignets, de ses aisselles, entre ses seins, derrière ses oreilles. Fasciné il se lève, sort du bain sans se donner la peine de prendre une serviette, vient coller son nez dans le cou de Samia.

- Mmm… C’est vrai que ça sent bon. Tu as raison c’est bien cette odeur qu’il y avait en bas tout à l’heure. Donc j’avais raison c’était bien ton odeur. Il l’enlace, embrasse son cou, ses cheveux.

- Mais non ! J’ai fini le flacon qui était chez moi et je n’en ai pas racheté pour le moment. Je mets quelque chose de moins cher.

A regret elle repose le grand flacon à sa place. Boher se décide à se sécher, reprend Samia dans ses bras pour redescendre l’escalier. Il aime la soulever, la sentir nue tout contre son propre corps nu, tellement légère.

Une fois dans la bibliothèque, ils constatent que l’odeur de parfum est toujours là. La neige s’est arrêtée, la nuit est tombée. Samia allume une grande lampe à l’abat-jour vieux rose posée sur une table ronde juponnée, qui met des ombres douces dans la pièce. Sans se concerter ils ramassent leurs vêtements, se rhabillent, rangent le désordre qu’ils ont mis dans la pièce. Le feu crépite encore un peu dans la cheminée. Samia et Boher se dirigent vers la porte-fenêtre, soulèvent les tentures pour regarder dehors. Tout est noir et blanc. Ils ont l’impression d’être enfermés dans un autre monde. Leurs mains se cherchent, ils s’enlacent, continuent d’observer le parc. L’odeur de parfum se fait plus insistante. Boher, machinalement, tourne la tête vers la cheminée, sursaute brusquement.

- Hé ! Qui êtes vous ? Venez s’il vous plait ! Nous sommes de la police.

Samia se tourne aussi. Devant eux, une vieille dame au port de reine, en longue robe de dentelle noire, aux cheveux blancs épais serrés en chignon bas, les observe en souriant.

- Madame n’ayez pas peur, enchaîne Samia en sortant sa carte de police. Nous sommes vraiment policiers. Votre maison était ouverte et on cherchait un endroit pour s’abriter. On a un problème de voiture. Est-ce que vous vivez seule ici ? Vous avez bien des domestiques ? Où sont-ils ? Vous savez que ce n’est pas prudent de tout laisser ouvert comme ça ? Hé mais… revenez ! Qu’est-ce que vous faites ?

La vieille dame a reculé petit à petit vers la porte, sans cesser de leur sourire, un beau sourire chaleureux, mais sans prononcer un seul mot. Arrivée sur le seuil, elle se détourne et sort de la bibliothèque. Interloqués, Samia et Boher se regardent, puis d’un même élan, se dirigent à leur tour vers la porte. Une fois dans le vestibule, plus aucune trace de la vieille dame mais son parfum flotte dans l’air.

- Ça alors, dit Boher. Mais comment elle a fait pour s’évanouir aussi vite ? Et où est-elle allée ?

- Il n’y a qu’à suivre le sillage de son parfum et on va bien voir, dit Samia.

Les effluves les conduisent directement vers la porte à double battant du grand salon/salle à manger. Boher ouvre la porte, pénètre à l’intérieur, tourne un interrupteur pour allumer le lustre du plafond. Impressionnée malgré elle, Samia le suit. Ensemble, ils font le tour du salon, ouvrent la porte coulissante de la salle à manger où la senteur agréable du parfum est plus forte. Elle les conduit vers le fond de la pièce, là où des lambris de bois précieux ont été plaqués au mur pour le décorer. L’odeur de parfum devient encore plus entêtante. Boher repère un endroit dans le lambris où la latte de bois a l’air mal positionnée. Il regarde Samia, puis avec son index il appuie sur la latte.

Ils sursautent tous les deux. Une porte habilement dissimulée s’écarte brutalement devant eux, laissant apparaître une ouverture assez grande pour laisser passer un individu de petite taille. Inquiet, Boher dans un éclair de lucidité, sort son arme de son holster, mais Samia complètement sidérée n’a même pas le réflexe d’en faire autant.

Arme au poing, suivi par Samia, Boher pénètre dans une petite pièce rectangulaire très sombre. Une torche éteinte suspendue au mur semble les attendre juste après l’entrée. Il s’empare de cette torche, sort son briquet et l’allume avant de la remettre dans son support. Un cri de surprise sort de la gorge de Samia. Devant eux, deux portraits accrochés au mur du fond. Elle reconnait la belle femme brune du tableau dans le vestibule, encore cheveux dénoués, mais cette fois peinte dans une chemise de nuit en mousseline quasiment transparente qui ne cache pas grand-chose de son corps. A côté d’elle, le portrait d’un homme en uniforme qui… mais… Samia, fascinée par le dernier portrait, n’arrive plus à en détacher des yeux.

- Oh mon Dieu, Jean-Paul, comme tu lui ressembles !

Elle ne sait pas trop ce qui se passe mais les larmes sont en train de lui monter aux yeux. Dans un uniforme d’officier, elle a l’impression que c’est le visage de Boher qui a été peint sur cette toile. La ressemblance est tellement troublante qu’elle en frissonne.

- Voyons Samia, calme-toi. Rien à voir avec moi ! En plus il a les cheveux bruns !

- Peut-être mais n’empêche qu’à part les cheveux j’ai l’impression que c’est toi. Je t’assure que c’est flippant.

Boher éclate de rire tout en rangeant son arme inutile.

- Allons Samia, tu n’es pourtant pas du genre à te laisser impressionner si facilement.

Elle ne l’écoute même pas, s’avance vers le fond de la pièce où un genre d’autel a été aménagé. Deux bougies éteintes et à demi consumées encadrent un autre tableau plus petit, cette fois représentant le couple ensemble. Ils sont tous les deux de profil, se regardent intensément. La femme porte un chignon bas très lâche d’où s’échappent ça et là des mèches brunes tombant sur ses épaules nues. L’homme est revêtu d’une chemise de nuit d’époque au col largement ouvert, qui loin de lui donner un air de grand père du temps jadis, transpire une sensualité à fleur de peau. Samia se dit qu’ils viennent juste de se lever après avoir fait l’amour et qu’ils sont sur le point de s’embrasser à pleine bouche. L’impression est si forte qu’elle sent les larmes couler de ses yeux. A ses côtés, Boher ne dit plus rien, mais enveloppe de ses bras ses épaules et sa taille, la serre contre lui à la briser. Elle se rend compte que lui aussi, malgré ce qu’il peut en dire, est profondément troublé.

- Je ne comprends rien mais je t’assure que ça me fiche la trouille ! dit Samia.

- Oui, ben tout ça ne nous dit pas où est passée notre vieille dame et j’aimerais bien la retrouver.

Après un léger baiser sur le front, il lâche Samia et fait le tour de la petite pièce. A la lueur fantomatique de la torche fixée au mur, il repère une autre porte, se dirige vers elle.

- Samia, vient ! Ça sent le parfum par ici, elle est sûrement passée par là.

Il pousse la porte qui n’est pas fermée, pénètre dans la seconde pièce et se fige d’un coup. Derrière son dos, Samia, qui a suivi mais ne voit pas grand-chose, se hausse sur la pointe des pieds.

- Jean-Paul ? C’est quoi ? Pousse-toi je ne vois rien.

Il s’écarte, la regarde bizarrement.

Devant eux, un laboratoire en miniature. Cornues, becs bunsen, appareils sophistiqués, et dans l’air une odeur caractéristique qui ne peut guère tromper des flics.

- Je crois qu’on l’a trouvé notre labo… Mais pas du tout là où on pensait qu’il était ! conclut Boher, impressionné malgré lui.

S’emparant de son portable, il appelle le commissariat du Mistral, s’entretient avec Jean-François. Madigan et Castelli ne sont toujours pas revenus. Au centre-ville le verglas recouvre les rues et les trottoirs, rendant toute circulation compliquée. Il explique brièvement ce qui se passe. Quand il raccroche, il regarde Samia, l’air de plus en plus troublé.

- Jean-Paul ? Qu’est-ce qu’il y a ? Ils vont venir n’est-ce pas ?

- Oui mon cœur, ils vont venir. Quelques véhicules ont été équipés de chaînes ou de pneus neige. Mais il y a quand même un truc curieux : les derniers propriétaires du château l’avaient mis aux enchères faute d’argent pour l’entretenir et c’est la Ville qui l’a acheté. On envisage d’en faire un musée mais pour l’instant aucune subvention n’a encore été votée. Il est censé être fermé depuis plus de deux ans ! Il faudrait vraiment qu’on retrouve cette vieille femme, elle doit avoir des tas de choses à nous dire.

- Je ne pense pas qu’on la retrouve.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- J’en sais rien mais… mon instinct me souffle très fort qu’on ne la reverra plus !

 

CHAPITRE 7 – OÙ LES VIEILLES DAMES NE SONT PAS TOUJOURS

CELLES QUE L’ON CROIT

 

Une fois les flics du Mistral et de la BAC mis en alerte, et malgré la neige, les choses vont très vite. Une souricière est mise en place le plus discrètement possible autour du domaine. Au bout de deux jours de planque et d’attente, les efforts des policiers sont enfin récompensés. Les quelques malfrats qui avaient pris possession du château en toute illégalité pour y vivre en hobereaux campagnards et y transformer leur morphine base se font cueillir par une unité d’élite du GIPN. En accord avec le Préfet de police et le procureur, Madigan a choisi d’employer les grands moyens et bien lui en a pris, les trafiquants arrêtés sont tous fichés au grand banditisme et lourdement armés, y compris les deux chimistes. En voyant arriver la neige, et sur le point de manquer de matière première pour continuer de faire fonctionner leur labo et écouler leur marchandise, ils se sont affolés et sont partis précipitamment pour aller chez leurs fournisseurs chercher de quoi continuer leur lucratif trafic toutes affaires cessantes.

Dans les jours qui viennent il faut impérativement étouffer toute l’affaire auprès des médias, car l’enquête menée avec diligence par Madigan, Castelli et tous les enquêteurs du Mistral fait rapidement apparaître des complicités dans l’entourage du Maire de secteur. Les deux élus d’arrondissement, en cheville avec les trafiquants moyennant finances, qui ont facilité leur installation dans une propriété appartenant à la Ville, sont discrètement arrêtés et mis en examen pour trafic de stupéfiants.

La dépêche marseillaise fait ses gros titres sur la neige, le verglas, le manque de moyens pour dégager les routes et le centre-ville, les trottoirs verglacés qui n’ont été ni sablés ni salés, à tel point que les urgences des hôpitaux ont enregistré ces derniers jours une impressionnante croissance de fractures de toutes sortes dues aux chutes spectaculaires des marseillais sur le verglas des rues et des trottoirs.

Pas grand-chose sur le démantèlement de cette filière de transformation de morphine base, un simple entrefilet discret à la page des nouvelles locales, faisant état de l’arrestation de trafiquants de drogue dans le 11ème arrondissement, sans plus de détails. Mais il faut éviter à tout prix que le scandale éclate et ne vienne éclabousser le Maire de secteur qui ne savait absolument rien de ce qui se tramait dans son entourage. A travers lui c’est tout le conseil municipal dont la crédibilité risque d’être mise en cause. Convoqué à la grande Mairie en toute discrétion, la mort dans l’âme et encore terrorisé par la mercuriale qu’il a prise dans le bureau du Maire, en présence du préfet de police et du procureur général, il prendra sa retraite deux mois après le démantèlement de la filière, démissionnant de toutes ses fonctions officielles « pour raison de santé », laissant la place à son premier adjoint.

Dans les jours qui suivent l’arrestation des truands, Samia et Boher demeurent sur place pour aider les enquêteurs, accueillir la police scientifique qui procède à l’inventaire du laboratoire et à toutes les investigations nécessaires.

La vieille dame n’est pas réapparue, ce qui ne surprend pas Samia mais inquiète Boher.

Madigan les félicite d’avoir réussi à trouver un laboratoire a priori indétectable, d’autant que les deux élus véreux, sachant que la police était sur leurs traces, se sont ingéniés à envoyer les flics du Mistral sur la fausse piste de la fameuse villa où les deux coéquipiers avaient commencé leur planque, et dont les habitants n’avaient rien à voir dans l’affaire. La commissaire leur laisse entendre à demi-mot qu’il y a de la promotion dans l’air pour tous les deux. Pour Samia, qui vient juste de valider son stage de gardien de la paix, c’est une belle réussite inespérée.

Mais à vrai dire, tout ça est bien le cadet de leurs soucis. Leurs collègues s’aperçoivent immédiatement qu’il y a quelque chose de changé dans leurs rapports. Rien qu’à la manière qu’ils ont de se regarder, ils comprennent que l’ère des chamailleries sans fin entre l’alsacien rigide et la beurette indomptable est bien révolue. Visiblement ces deux-là ont réussi à aller l’un vers l’autre. Ils se sont trouvés, reconnus et n’ont plus l’intention de se séparer, ni de se cacher. Pendant le travail ils font tout ce qu’ils peuvent pour se montrer discrets et professionnels, mais malgré eux, leurs mains se frôlent, leurs yeux les trahissent. Amusés, Madigan et Castelli se demandent s’il faut continuer à les laisser travailler ensemble. Bah ! Après tout, c’est ensemble qu’ils ont résolu cette affaire, alors autant les laisser continuer. Finalement, dit Madigan à Castelli, si elle a réussi à faire de ce misanthrope sauvage un être plus civilisé, ce n’est certainement pas moi qui vais le lui reprocher bien au contraire, et puis j’en avais plus qu’assez de leurs scènes de ménage qui exaspéraient tout le commissariat.

Huit jours après la conclusion de toute l’affaire, Samia et Boher, serrés l’un contre l’autre, font une ultime promenade dans le parc du château. Le froid est encore vif mais la neige a fondu. Ils sont allés récupérer la laguna de fonction qui les attendait sagement là où la neige l’avait bloquée, à présent elle est stationnée devant la grille ouverte du château. Ce soir ils seront de retour au Mistral.

Il resserre son étreinte autour de Samia.

- Tu vas faire quoi ce soir mon cœur ? Tu rentres chez toi ?

- Non, répond Samia.

- Et qu’est-ce que tu as prévu ?

Elle s’arrête de marcher, le fixe d’un regard pétillant.

- Tu n’as pas de place chez toi pour quelqu’un qui n’a pas envie de te quitter ?

Il s’arrête de marcher, la fixe comme si elle n’était pas tout à fait réelle.

- Samia, tu es sûre de toi ? Parce que si tu franchis ma porte, je ne te laisserai plus jamais t’en aller. Je t’aime et je crois bien que je t’ai aimée depuis le jour où on s’est rencontrés. Evidemment que je n’ai pas envie qu’on se quitte, je suis sûr de mes sentiments.

Doucement elle passe sa main sur sa joue un peu rugueuse, son menton, remonte pour dessiner le contour de sa bouche avec son doigt, pose un baiser léger sur ses lèvres.

- Et moi je suis sûre des miens, lui murmure t-elle tout contre sa bouche. Séquestre-moi tant que tu veux ! Je t’aime espèce de sale flic borné, je t’aime toi, Jean-Paul Boher, avec tes défauts, tes qualités, ton foutu caractère de merde. J’ai besoin de toi, de ton amour, de ton corps. J’ai besoin que tu me fasses l’amour encore et encore, besoin de te sentir en moi. Alors je ne vais plus te lâcher. Et si tu as le malheur de regarder une autre femme que moi, je t’assure que je suis capable de t’arracher les yeux.

Sans lui laisser une quelconque possibilité de réponse, elle s’empare violemment de ses lèvres, lui fouille la bouche d’un baiser profond auquel il répond immédiatement. Essoufflés, ils se séparent, s’enlacent. Il passe une main dans ses cheveux dénoués, ferme les yeux pour mieux savourer cet instant magique.

Une toux discrète se fait entendre. Ils se retournent. A leur grande surprise, ils se retrouvent nez à nez avec le vieux qui leur avait indiqué le chemin du château.

- Tiens donc ! dis Boher. Qu’est-ce que vous faites ici vous ? C’est une propriété privée.

- La grille était ouverte. Et je le sais bien que c’est privé ! J’étais le gardien du château avant qu’il ne soit vendu et que la Ville ne l’achète.

- Vous saviez que le domaine appartenait à la Ville ? Donc vous nous avez menti et envoyé là-dedans en sachant qu’on n'y trouverait pas d’aide et aucune chambre d’hôte ? Vous êtes gonflé vous, dites-donc !

- Voilà des mois que je me dis qu’il se passe des choses curieuses dans ce château censé être totalement fermé, mais je savais pas trop à qui en parler. Vous m’aviez dit que vous étiez des policiers, alors j’ai pensé que si je vous envoyais y faire un petit tour, ma foi, ça pouvait aider !

- Et vous n’avez pas réfléchi qu’on risquait peut-être de se faire tuer ?

- Ah bah ! Je savais bien que vous trouveriez dégun vaï ! Le matin à l’aube j’avais vu toute une caravane pacouli foutre le camp dans des gros 4x4, comme s’ils avaient le diable au cul !

Samia sent que Boher est furieux. Elle pose une main apaisante sur son bras.

- Arrête tu veux ? Il pensait bien faire ! Et puis sans lui… Et elle lui sourit amoureusement.

Il se calme instantanément, lui sourit à son tour.

- Dites Monsieur, demande Samia, j’aimerais en savoir plus sur les anciens propriétaires. Qui étaient-ils ?

- Hé bé pendant des lustres le domaine a appartenu à la famille de Rampalle, d’ailleurs dans la région on l’appelait Château-Rampalle. C’était une famille d’industriels très riches. Vous avez dû voir leurs portraits dans le vestibule non ? Une belle famille de culs serrés hein ?

- Et… la belle femme brune aux épaules nues et aux cheveux dénoués, son portrait est aussi dans le hall d’entrée, c’était qui ?

- Ah elle… C’est Ludivine de Rampalle née de Courson, elle était mariée à Jean de Rampalle. C’est un beau tableau c’est vrai. Ils étaient très amoureux. Son mari avait fait venir un peintre italien spécialement de Florence pour faire plusieurs portraits de sa femme. Aucun peintre de la région ne lui semblait avoir suffisamment de talent pour rendre justice à sa grande beauté ! D’ailleurs à ce qu’il parait il y a eu toute une histoire, le peintre italien était tombé fou amoureux de son modèle. Mais la grande guerre a mis fin à tout ça. Et si vous regardez bien le tableau, vous verrez que le fond est inachevé. En août 14 juste avant que la guerre éclate, l’italien a retrouvé son Italie, et puis après Jean de Rampalle est parti dans les tranchées. Il n’en est pas revenu.

Samia, vaguement admirative, jette un regard à Boher. Finalement son instinct ne l’avait pas trompé !

- Et… qu’est-ce qu’elle est devenue ? Je veux dire après la mort de son mari ?

- Peuchère. Elle est restée au domaine et elle a élevé son fils tout en faisant marcher les affaires de son mari pour que le minot ait un héritage digne de lui à sa majorité. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire d’autre hein ? Mais on raconte que plus jamais personne n’a vu son visage quand elle sortait pour ses affaires. Elle était toujours en noir, avec un chapeau et un grand voile noir autour de la tête. Elle ne voulait plus montrer sa beauté puisqu’elle avait perdu l’homme de sa vie. Les pauvres, ils s’aimaient tellement. Quand le mortuaire est arrivé aux autorités et qu’il a fallu qu’ils se décident à venir le lui dire, y se sont pas battus pour y aller vaï ! Quand elle les a vus et qu’elle a compris, on dit qu’elle en a hurlé de souffrance pendant deux jours et deux nuits.

Impressionnés malgré eux, Samia et Boher écoutent l’histoire du vieux comme s’il s’agissait d’un conteur des veillées d’autrefois.

- Et… la petite salle secrète où il y a leurs portraits ?

- Ah bah, vous avez trouvé les deux pièces ? Pourtant c’est pas facile ! C’est elle qui les avait fait aménager bien sûr. Elle venait là quand elle avait un moment, pour pleurer sans qu’on la dérange sur son amour perdu, regarder les portraits du peintre italien, se rappeler les jours heureux. On dit qu’elle était devenue un peu fofolle, qu’elle dialoguait avec le portrait de Jean de Rampalle comme s’il était vivant. Pendant des années et malgré l’amour qu’elle avait pour son enfant, elle a supplié Dieu pour qu’il la rappelle à lui, pour qu’elle puisse rejoindre son Jean au Ciel des bienheureux. Mais Dieu n’a jamais exaucé ses prières et comme elle était très croyante, elle n’a jamais songé à aider un peu la providence. Alors elle a attendu, attendu, pendant des années. Elle avait plus de 70 ans quand elle est morte. Les domestiques ont raconté qu’un beau matin, elle sortait de la pièce secrète où elle était allée prier, elle est entrée dans la bibliothèque et là, elle s’est arrêtée brusquement, elle a porté la main à son cœur et elle a glissé doucement sur le tapis. Son fils et sa bru l’ont trouvée là en rentrant de la ville. Elle est morte sans pousser un cri, parait même qu’elle souriait.

- C’est une belle histoire, dit Samia. Elle en a les larmes aux yeux.

- Hé oui petiote, c’est une belle histoire. Sauf que celle-là, elle est vraie ! Mais c’est drôle… Quand je vous regarde tous les deux, j’ai l’impression de revoir leurs portraits.

- Au fait, demande Samia sans paraître avoir entendu la fin de la phrase, c’est qui la vieille dame en robe de dentelle noire qui rode dans le château ?

Le vieux la regarde, l’air ahuri.

- Quelle vieille dame ?

- Bah ! Une folle probablement. On l’a vue dans la bibliothèque et on ne l’a plus retrouvée. Ça n’a rien de très étonnant quand on y réfléchit, il doit y avoir d’autres passages secrets dans ce château. Mais en attendant c’est en voulant la rattraper qu’on a découvert la planque des trafiquants. Elle nous a rendu un fier service.

- Dame, dit le vieux, troublé, ça ne devait pas lui plaire de voir des bandits dans son château !

Samia et Boher se dévisagent, interloqués.

- Vous pouvez nous expliquer là ? demande Boher, je ne suis pas sûr de vous suivre.

- Elle était comment votre dame ? dit le vieux.

- Mince, de taille moyenne, répond Boher. Très classe, une robe de dentelle noire, un chignon bas d’où s’échappaient quelques mèches blanches, un beau regard très doux, un merveilleux sourire.

- Vous avez senti son parfum n’est-ce pas, demande le vieux.

Brusquement, sans trop savoir pourquoi, et malgré le froid, Samia sent un filet de sueur glisser le long de son dos. Elle se colle contre Boher, lui enserre la taille. Il s’empare de sa main, emmêle ses doigts aux siens. Avec son autre bras il entoure ses épaules. D’un coup il la sent paniquée et il ne comprend pas pourquoi.

- Oui, dit Samia d’une toute petite voix. On l’a senti. Et c’est même grâce à ça qu’on a pu découvrir la pièce secrète, en suivant son sillage. C’était l’heure bleue de Guerlain.

Le vieux leur sourit gentiment.

- Vous devez vraiment être très amoureux jeunes gens ! Et vous allez vous aimer pour le reste de votre vie. Pourtant j’aurais pas cru quand je vous ai croisés sur la route, tanqués dans la neige et en train de vous disputer.

Impressionnés malgré eux, Samia et Boher se regardent, se sourient.

- C’est vrai, dit Samia. Nous sommes très amoureux, vous avez raison. Elle regarde à nouveau Boher, ses yeux étincellent comme des escarboucles en plein soleil. Il sent son émotion, la serre encore plus fort.

- Et comme tous les amoureux du monde, on a l’impression qu’on est en train de tout réinventer, dit Boher. On espère de tout cœur que c’est pour toute notre vie. Mais comment vous pouvez en être sûr ? Vous êtes devin ? Malgré lui une ironie légère transparait dans ses propos.

- Oh mais que oui j’en suis sûr ! Vous avez vu Ludivine de Rampalle. Et la légende dit que seuls ceux qui s’aiment d’un amour éternel peuvent voir son fantôme !

 

FIN

Juin 2009

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