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Patou St Victor fait des histoires

Poésie - Nouvelles - Fanfictions - Les contenus présents sur ce site sont la propriété exclusive de PatouStVictor

Anniversaire

Anniversaire

Physiquement, on se ressemblait tellement que dans le quartier, tout le monde te disait "eh bé tè, tu peux pas la renier celle-là." Tu m'agaçais parfois. Tu aimais les mots croisés, moi pas. Tu aimais regarder le tennis à la TV, moi pas. On s'accrochait sur tellement de choses que j'en ai oublié la plupart. Ma propension à lire tout et n'importe quoi lorsque j'étais ado t'agaçait, mais jamais tu ne m'as interdit un seul livre même si tu étais perplexe à propos de mes choix. Tu avais étudié le violon dans ta jeunesse, alors tu aimais écouter des concertos pour violon doux et tendres, quand l'instrument pleure de beauté. Nous mettions un vinyle sur la platine et on fermait les yeux. La musique nous rapprochait, l'opéra nous faisait vibrer, tous les ans le concert du Nouvel An à Vienne était notre bonbon à nous, pour bien démarrer une nouvelle année.

Au bord des cours d'eau ou des lacs volcaniques d'Auvergne, l'été tu pêchais carpes et brochets. Les matins de juillet, on allait au marché choisir un Saint Nectaire et tu me laissais faire, parce que tu avais très vite compris que ta petite gamine haute comme trois pommes était la reine pour détecter les meilleurs rien qu'avec la petite bouchée proposée par les fromagers tanqués dans leurs camions.

Chez nous à Marseille, on allait capturer des fioupelans dans les rochers, tu pêchais des girelles, puis une fois à la maison tu investissais la cuisine pour préparer la soupe, sans rien nettoyer une fois terminé, à maman et moi le grand plaisir de remettre la cuisine en ordre. Lorsque c'était la saison, tu "faisais" les oursins à mains nues, quitte à venir me voir après pour que je t'aide à ôter avec une pince à épiler les méchants piquants fichés au bout de tes doigts. Parce que j'avais la patience, alors que maman ne l'avait pas. Et ça recommençait, tu ouvrais les oursins, à nous autres le soin de ramasser les piquants répandus un peu partout sur la pile et dans la cuisine. Tu faisais plusieurs boulangeries, il fallait trouver du bon pain pour les manger, ces bestioles gorgées de corail. Pas du "pain à la pilule" comme tu disais.

On se criait dessus, on se boudait puis on oubliait tout, il faut dire que maman, ange de douceur, était une championne de l'arbitrage.

Mais un beau jour, alors que j'avais acquis un sentiment rassurant d'éternité, tout s'arrêta brusquement. Tu étais bien trop jeune pour t'en aller. A la Conception, j'avais fui la mauvaise nouvelle que je ne voulais pas entendre, je m'étais retrouvée errant dans les patios, les couloirs, puis pleurant dans les bras d'inconnus, des gens qui étaient là comme moi pour des heures de misère que l'on rejette de toutes ses forces parce qu'on veut tellement que ça ne soit qu'un méchant cauchemar. Non ce n'est pas moi qui suis en train de vivre ça, je vais me réveiller, toi aussi et tu vas sourire, quelle bonne blague tu nous fais. Sauf que ça ne s'est pas passé comme ça hélas…

Une vie de jeune adulte qui démarre, mais sans toi pour m'épauler, me conseiller, encourager mes premiers pas professionnels, voire m'engueuler.

"Mais P'paaaaa ! Tu comprends vraiment rien. Vis un peu avec ton temps.

- Oui c'est ça ma fille. Presse ton nez il va sortir du lait."

Aujourd'hui c'est ton anniversaire. J'aurais tant aimé que l'on fasse ensemble un long, long, si long chemin. Entendre seulement ton rire, tes coups de gueule, revoir ta vie, notre vie, plutôt que ta brève agonie que j'aimerais rayer de mon esprit à tout jamais.

Bon anniversaire papa.

 

@PatouStVictor

4 août 2023

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