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Patou St Victor fait des histoires

Poésie - Nouvelles - Fanfictions - Les contenus présents sur ce site sont la propriété exclusive de PatouStVictor

- Le chevalier blanc - Fic Plus belle la vie / Quand les Boher n'étaient pas encore un couple ! / Novembre 2009

 

Chapitre 1 – A comme… Arrivée

 

Le ferry en provenance d’Alger est à quai dans le port de Marseille. Sur le pont supérieur, malgré le vent qui souffle en rafales, Samia emmitouflée dans son blouson assiste aux manœuvres d’amarrage. Il est 10 heures du matin. Le ferry a quitté Alger la veille à midi pile. La jeune femme n’est guère de bonne humeur. Elle a passé la nuit à se tourner et à se retourner dans sa couchette sans pouvoir fermer l’œil, de plus en plus exaspérée au fil des heures par les mouvements du navire, malmené par un vent violent. Plus de la moitié des passagers est en proie au mal de mer, ce qui n’est pas le cas de Samia. Elle le regrette presque. A force de se bourrer de comprimés ou de suppositoires, parfois les deux, la plupart des gens malades ont réussi à s’endormir, plus qu’à demi assommés par les médicaments et du coup, insensibles aux secousses du navire. Samia, elle, a compté les heures allongée dans sa couchette étroite. A l’aube, exaspérée et lasse de remuer, elle s’est levée et s’est préparée pour aller prendre un petit-déjeuner. La plupart des tables sont encore inoccupées, elle a avalé un mauvais thé dont le sachet trempe dans l’eau tiède, mordu dans un croissant trop mou sans grande conviction, puis elle est retournée tant bien que mal dans sa cabine rassembler ses affaires de toilette et sa valise. Après quoi elle a acheté un magazine puis elle s’est installée au salon-bar en essayant de se concentrer sur sa lecture, évitant de regarder les passagers qui commencent à arriver comme des morts-vivants, les yeux à moitié fermés et pour la plupart avec des visages dont on ne sait pas trop s’ils ont viré au vert ou au gris sous l’effet des nausées et des médicaments.

La troisième semaine de novembre est déjà bien avancée. Samia devait rester encore quelques jours avec ses parents, puis rentrer à Marseille en prenant place sur un cargo marchand commandé par un ami de son père, afin d’économiser le prix du billet de retour. Mais malheureusement pour elle, l’homme a eu un imprévu, contraint de réserver le peu de place que possède le cargo pour ses propres parents, sa mère se voyant obligée de se rendre à Marseille afin de consulter un cardiologue à l’hôpital de la Timone. Samia a donc réservé son passage sur un ferry à la dernière minute. Par précaution, elle a choisi la première place disponible, préférant avancer son départ de quelques jours. Son père a insisté pour prendre en charge cette dépense imprévue dans son budget et Samia l’a laissé faire, sachant que ça lui faisait plaisir de l’aider.

L’arrivée dans le port attire Samia sur le pont. Elle aime toujours autant voir la ville grandir au fur et à mesure que le navire se rapproche de la terre ferme. Le ciel est bleu sans aucun nuage, le froid est un peu vif et le vent agite ses cheveux dans tous les sens mais elle se sent mieux qu’à l’intérieur.

- C’est vrai qu’on est mieux ici hein ? Moi aussi j’étouffais là-dedans.

Samia sursaute, se demande si par hasard elle aurait parlé à voix haute… Non pourtant. Accoudé au bastingage à côté d’elle, un adolescent fixe calmement l’horizon. Il se tourne vers Samia, sourit.

- Tu sens ? J’aime cette odeur… L’odeur de la mer mélangée à l’odeur de la ville qui vient à nous et à celle du fuel des bateaux, le cri des mouettes…

Amusée, Samia le regarde mieux. Quel âge peut-il avoir ? Quinze ou seize ans peut-être ? Un beau visage brun, des lèvres bien ourlées, des sourcils noirs épais d’où jaillissent des yeux d’un surprenant bleu très clair. Un kabyle, pense Samia. Il porte un burnous par dessus ses vêtements.

- Comment tu t’appelles ? demande t-elle.

- Je suis le vent… Le vent qui malmène tes beaux cheveux, qui te fait grelotter, mais aussi le vent chaud des sables qui caresse, ou celui qui rend fou…

- Eh bien bonjour le vent… et tu vas où aujourd’hui ?

- Qui sait… dit l’adolescent, mettant un doigt sur sa bouche. Ici ou là, partout où le Ciel m’appelle ! Mais le Ciel sait-il lui-même quoi faire et où aller ?

Ni les actes - mauvais ou bons - du genre humain

Ni le bien, ni le mal que nous fait le destin

Ne nous viennent du Ciel, car le Ciel est lui-même

Plus impuissant que nous à trouver son chemin.

- C’est beau, dit Samia.

- Tu ne connais pas Omar Khayyam ?

- Non, pas bien…

- J’aime la poésie, pas toi ?

- Un peu. En fait j’ai pas trop le temps de lire des poèmes.

- Tu devrais pourtant. Tu es jolie à inspirer les plus beaux quatrains !

Samia éclate de rire.

- C’est gentil, mais je t’assure que personne ne m’a jamais écrit de poèmes.

- Ceux que l’on garde à l’intérieur de soi sont aussi de merveilleux poèmes. Je suis sûr que ton chevalier blanc doit t’en déclamer tout plein la nuit, lorsqu’il rêve de toi.

- Je n’ai pas de chevalier blanc, vois-tu. Et personne ne rêve de moi !

- Ça c’est faux !

- Qu’est-ce que tu en sais ? répond Samia en haussant les épaules.

- Comment pourrais-tu ne pas faire rêver ? On dirait que tu es pétrie de lumière tellement tu es belle…

L’adolescent avance une main timide, la pose sur ses cheveux, caresse sa tempe avec son pouce. Elle pense qu’elle devrait lui dire d’arrêter, le repousser. Mais il n’y a aucune espèce d’ambiguïté dans le geste du garçon, il la touche comme il toucherait une œuvre d’art afin de mieux l’admirer. Et brusquement Samia se sent mieux, apaisée avec cette main posée sur elle. Sa mauvaise humeur et sa pointe de migraine sont en train de s’envoler, elle a chaud tout d’un coup et elle est bien.

- Tu as souffert et tu souffres encore, la blessure de l’absence est de celles qui ne s’effacent jamais, tu te sens tellement seule. Il est maladroit ton chevalier blanc, mais il t’aime et il est malheureux. Laisse-le aller vers toi avant de le perdre. Laisse-toi aller, laisse-toi aimer puisque tu l’aimes, ta vie c’est lui… Pourquoi chercher si loin ce qui est devant tes yeux ? Tu n’auras pas de réponse en traversant la Méditerranée, l’absent restera l’absent, et à force de chercher son soutien tu passes à côté de ta vie. Cherche la lumière, tourne-toi toujours vers elle au lieu de rester dans la nuit.

Vidant avidement la cruche, j’ai tenté

D’apprendre les secrets de la longévité.

Et la cruche m’a dit : Bois donc du vin sans cesse.

Nul ne revient au monde après l’avoir quitté.

Complètement sidérée, Samia regarde le garçon avec des yeux ronds comme des soucoupes. Il a les paupières fermées, elle se demande même s’il n’a pas oublié sa présence bien que sa main soit toujours posée sur sa tête.

- Hé ! Tu es sûr que ça va ? lui demande-t-elle gentiment. Je ne comprends pas trop ce que tu me racontes…

- Adil ! On te cherche partout ! Il ne vous a pas ennuyée au moins Mademoiselle ?

Samia sourit à la dame d’un certain âge qui se trouve devant elle, et qui a saisi le garçon par le bras, l’obligeant ainsi à ôter sa main de son front.

- Non, pas du tout. On discutait simplement.

La dame a l’air soulagée.

- Va vite rejoindre ton grand-père, il a besoin de ton aide pour les bagages.

L’adolescent sourit à Samia une dernière fois avant de se détourner pour rentrer à l’intérieur du ferry :

- J’espère que tu trouveras ce que tu cherches !

La jeune femme le suit des yeux. Quel curieux garçon…

- Vous êtes sûre que ça va ? demande la dame. Vous savez, mon petit-fils est parfois un peu… bizarre.

- Mais oui tout va bien. Il est très cultivé votre petit-fils, il m’a récité des poèmes.

- Tant que ce n’est que ça… soupire la grand-mère, tout va bien. Parfois il part dans des délires et il dit des choses étranges qui effrayent tout le monde. Notre médecin n’y comprend rien, il nous a conseillé de voir un psychiatre.

- Ne vous inquiétez pas trop, répond Samia. Les adolescents sont parfois surprenants vous savez, ça passe avec le temps.

- J’espère que vous avez raison Mademoiselle. Bon je vous laisse, on va bientôt accoster. Vraiment désolée si Adil vous a dérangée.

Samia l’assure que non pour la rassurer. Une fois seule, elle se remémore les paroles du garçon, pense que la grand-mère a raison, il dit des choses étranges. Mais bizarrement, elle est capable de restituer mot à mot dans sa tête tout ce qu’il lui a dit, et elle se sent apaisée depuis qu’il l’a touchée… Elle se secoue… N’importe quoi, pense t-elle ! Voilà que je prête attention aux propos d’un ado perturbé maintenant… C’est peut être bien moi qui aurait besoin d’un psy !

Secouant les épaules comme pour se débarrasser d’un fardeau, Samia retourne à l’intérieur afin de récupérer sa valise, pendant que le ferry termine sa manœuvre.

 

Chapitre 2 – M comme… Méprise

 

Dans la queue des taxis, sa valise-trolley posée à côté d’elle, Samia attend son tour en réprimant un bâillement. Sa nuit blanche commence à se faire sentir, elle est impatiente d’arriver chez elle mais elle se sent trop lasse pour prendre les transports en commun. Un moment elle a envisagé d’appeler Boher pour lui demander s’il pouvait venir la chercher, puis un sursaut de fierté l’en a empêchée. Il faut qu’elle arrête de penser à lui à chaque fois qu’elle a un problème à résoudre, elle peut tout de même se payer un taxi ! D’ailleurs elle ne sait même pas s’il travaille aujourd’hui.

Mais… quand même… Samia ne peut pas empêcher son imagination de galoper, et de lui souffler malgré elle qu’elle aurait bien aimé voir sa silhouette rassurante en train de l’attendre, bras croisés et jambes légèrement écartées, juste à la sortie des douanes et du contrôle des passeports. Il aurait eu son petit sourire en coin en la voyant s’approcher, se serait emparé d’autorité de la poignée de la valise en lui disant « alors Miss Nassri ? On a fait bon voyage ? Pas trop secouée avec ce vent ? Je ne vous ai pas trop manqué ? » Elle aurait rétorqué un truc du genre « non ça va, on a aussi un âne au village » comme la dernière fois, et ensuite…

- Avancez s’il vous plait ! Merci !

Samia sursaute. Perdue dans une langueur cotonneuse, un vague sourire aux lèvres, elle ne s’est pas aperçue que la file d’attente s’est remise en mouvement et qu’elle est en train de bloquer tout le monde en restant plantée là. Murmurant une vague excuse, elle attrape sa valise et avance de quelques pas. Décidément ça ne lui réussit pas de ne pas avoir dormi, voilà qu’elle se met à fantasmer sur Boher à présent !

Une fois assise dans le taxi, elle donne machinalement son adresse au chauffeur, regarde avec plaisir le paysage qui défile. Elle est contente de retrouver Marseille et de rentrer chez elle. Elle est toujours heureuse de revoir ses parents et de passer du temps avec eux, mais ils vivent dans un monde qui n’est plus le sien. Ils ont toujours chevillé au corps l’espoir de revoir Malik, et son père est celui des deux qui supporte le plus mal sa disparition. A chaque fois qu’elle retourne en Algérie, Samia espère qu’ils ont eu des nouvelles, mais son espoir est à chaque fois déçu, à croire que son frère a été effacé de la surface de la terre. Le taxi passe la Place de Lenche, elle est presque arrivée. La vue de Samia se brouille. A force de vouloir recréer en elle le visage de Malik, elle s’aperçoit qu’il est en train de s’estomper de plus en plus de sa mémoire et ça la terrorise de penser que dans quelques temps, elle sera peut être obligée de regarder la photo qu’elle garde précieusement dans son portefeuille pour arriver à se souvenir de ses traits… « L’absent restera l’absent ». Au lieu du visage de Malik c’est celui du jeune Adil qu’elle revoit soudain… Poème, chevalier blanc… maladroit… lumière… Elle est en train de s’endormir, bercée par le ronron du véhicule.

- Et voilà Mademoiselle, nous y sommes !

Samia ouvre brutalement les yeux. Le taxi est à l’arrêt devant chez elle. Elle paye, sort de la voiture pendant que l’homme roule gentiment son bagage jusque devant la porte de son immeuble. Un dernier remerciement et le taxi s’en va. En bâillant, Samia fouille dans son sac à la recherche de ses clés. L’escalier lui paraît interminable avec sa valise qui pèse son poids. Enfin arrivée, elle se laisse choir sur le canapé après s’être débarrassée de son blouson. L’appartement est baigné de lumière. Samia n’a pas prévenu Mélanie qu’elle avançait son retour, elle ne la verra donc pas avant ce soir. Elle se dit qu’il faut qu’elle défasse sa valise et qu’elle mette une machine à laver en route. Mais le calme qui règne dans l’appartement lui donne plutôt envie de paresser. Et puis elle a sommeil. Après tout, pourquoi ne pas aller se reposer ? Rien ne la presse, elle a encore quelques jours de congé devant elle. Elle se prend à rêver de son lit. Non décidément elle a trop sommeil pour faire quoique ce soit, autant aller dormir un peu.

Samia se dirige vers sa chambre, pousse la porte. La pièce est plongée dans la pénombre, Mélanie a laissé les volets fermés. Très bonne idée, elle va s’endormir d’autant plus vite. Et après avoir envoyé promener ses chaussures elle se jette sur son lit avec délectation.

Un cri affolé retentit, faisant écho à celui de Samia qui s’est laissé tomber sur une masse imprévue qui incontestablement occupe déjà la place. Avant même de réaliser ce qui lui arrive, elle se retrouve immobilisée à plat ventre sur son propre lit, se débat sans pouvoir se dégager.

- Lâchez-moi ! hurle Samia, furieuse et bien réveillée cette fois.

- Nassri ? C’est vous ?

- Bon sang Boher, mais vous allez me lâcher oui ?

Il obéit, cesse de l’immobiliser, libère son bras gauche. Samia saute sur ses pieds, frotte machinalement son poignet qui lui fait mal.

- Non mais ça va pas ? Vous avez failli me casser le bras !

- Euh… Je suis désolé, répond Boher penaud. Vous m’avez réveillé en sursaut et…

- Et d’abord qu’est-ce que vous fichez dans mon lit ?

- Ben, j’étais de nuit, j’ai terminé à quatre heures ce matin et je suis rentré directement me coucher. Ne me dites pas que Mélanie ne vous a pas prévenu que j’habitais provisoirement chez vous ?

- Oui bien sûr qu’elle me l’a dit, répond Samia, calmée. Mais en fait… j’avais complètement oublié.

- Vous ne deviez pas revenir la semaine prochaine ?

- Si, mais il y a eu un imprévu et j’ai préféré rentrer plus tôt.

- Pourquoi vous n’avez pas téléphoné ? J’aurais libéré votre chambre et je serais rentré chez moi !

- Bon ça va, c’est pas un drame, dit Samia, se dirigeant machinalement vers la fenêtre afin d’ouvrir les volets. J’ai pas dormi du tout sur le ferry tellement la mer était mauvaise, arrivée ici je n’avais qu’une envie, c’est d’aller me coucher. J’ai pas pensé une seconde que vous pouviez être là.

Elle referme la fenêtre, se retourne… et se fige d’un coup. Debout devant elle, un Boher aux joues garnies d’une barbe naissante passe machinalement une main dans ses cheveux hirsutes. Il est torse nu, pieds nus, seulement vêtu d’un caleçon. Il se rend compte brusquement que Samia le regarde de la tête aux pieds avec insistance, rougit comme une jeune fille, se rue sur son peignoir posé au pied du lit et s’en enveloppe aussi étroitement qu’une momie dans ses bandelettes.

- Euh vous voulez un peu de café ? Ou un thé peut être ? demande Boher pour se donner une contenance.

- A cette heure ci ? Il est plus de midi ! Non merci, maintenant que vous m’avez coupé le sommeil j’aurais plutôt faim.

- Bon, je prends vite une douche et je vais vous préparer quelque chose.

- Non ça ira. Je vais aller déjeuner au bar du Mistral, ça fera une surprise à Mélanie. Je vous laisse émerger tranquillement, vous avez l’air complètement dans le gaz !

Et Samia, reprenant son sac et son blouson, quitte son appartement comme on se sauve, poursuivie par l’image de Boher en caleçon qu’elle n’arrive plus à chasser de son esprit.

 

Chapitre 3 – O comme… Oubli

 

Au bar du Mistral, Mélanie, après avoir sauté au cou de Samia et exprimé bruyamment sa surprise et son contentement de la revoir plus tôt que prévu, l’a installée à une table tranquille devant le plat du jour, un hachis Parmentier. Samia se régale.

- C’est délicieux dis-donc ! Au fait qui fait la cuisine pendant que Roland est parti ?

- Thomas ou moi, ça dépend. Aujourd’hui c’est moi qui ai fait le hachis.

- Qu’est-ce qu’il est bon ! Tu devrais en faire plus souvent à la maison.

- J’en ai fait plusieurs fois pendant que tu étais partie, Jean-Paul adore ça.

Mélanie tourne les talons pour s’occuper des clients, il est midi et demi et c’est le moment du coup de feu. A la cuisine, Thomas occupé à faire des sandwiches, des salades et des omelettes à la chaîne, a tout juste eu le temps de venir saluer Samia.

La jeune femme est restée la fourchette en l’air, elle regarde Mélanie s’éloigner vers le passe-plat, une pile d’assiettes sur le bras. Jean-Paul… depuis quand elle appelle Boher Jean-Paul ? D’ailleurs, à observer son amie, elle la trouve plutôt en forme pour quelqu’un qui est censé être en pleine déprime. Elle est vêtue d’une robe noire qui met ses courbes en valeur, elle porte autour du cou un joli collier que Samia n’a jamais vu, ses cheveux rassemblés en une grosse natte sont brillants et bien coiffés, et son maquillage est parfait. Ce n’est pas du tout la Mélanie qu’elle pensait retrouver après les deux coups de fil qu’elle a eu durant ses vacances, au cours desquels elle a essayé tant bien que mal de remonter le moral d’une colocataire à la voix terne et triste, obsédée par ses échecs sentimentaux, et qu’elle a sentie au bord des larmes. Samia fronce les sourcils. Non… pas possible ! Impensable ! Elle repousse l’idée saugrenue qui est en train de lui traverser l’esprit. Mélanie et… Boher ? N’importe quoi ! Mais malgré elle, l’idée saugrenue fait du chemin dans sa tête. Elle n’a pas relevé lorsque Mélanie lui a expliqué au téléphone que Boher va partager l’appartement avec elle pour qu’elle se sente moins seule jusqu’à son retour. Samia pense aussi que c’est mieux si quelqu’un veille sur elle. Boher, malgré son côté bourrin et obtus, est quelqu’un sur qui on peut compter. Mais alors pourquoi a-t-elle une drôle de sensation au creux de l’estomac tout d’un coup ? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire si Mélanie et lui…

- Bonjour Samia ! Déjà de retour ?

Perdue dans ses pensées, elle n’a pas vu Léo arriver. Il s’assoit sans façons en face d’elle.

- Ah bonjour capitaine ! Oui je suis rentrée un peu plus tôt. Alors, quoi de neuf au commissariat ? Boher n’a pas fait trop de bêtises pendant que j’étais pas là ?

Léo lui jette un regard en coin.

- Tiens, c’est bizarre que tu me parles de lui d’entrée, comme ça… Il t’a tellement manqué ?

Samia se sent rougir, et ça l’agace.

- Pas du tout, répond-elle en haussant une épaule. Je plaisantais c’est tout.

- Mais… moi aussi, rétorque Léo ironique. Et puis ça tombe bien que tu parles de lui, j’allais justement t’en toucher un mot.

Elle regarde Léo se lever pour aller commander un café au comptoir, en profite pour finir deux bouchées du hachis Parmentier qui refroidit dans son assiette. Curieusement elle ne lui trouve plus la même saveur. Léo revient s’asseoir, il semble perdu dans ses réflexions. Samia n’ose pas relancer la conversation sur Boher, préférant attendre qu’il prenne l’initiative. Mais voyant qu’il ne dit toujours rien, elle tente d’engager le dialogue d’une manière neutre.

- Vous ne mangez rien capitaine ?

- Non, j’ai avalé un sandwich au bureau en faisant de la paperasse, ça ira. J’ai juste besoin d’un bon café.

- C’est vrai que le café du commissariat… sourit la jeune femme.

Bon… elle a fait comme elle a pu. Commissariat, café… donc Boher automatiquement, il est le seul à avaler le café du commissariat sans faire la grimace et le capitaine le sait bien. Mais il ne lui répond pas. Samia s’impatiente d’autant que Mélanie arrive vers eux avec l’expresso commandé par Léo, qu’elle pose devant lui. Elle en profite pour débarrasser l’assiette et les couverts de Samia, la corbeille de pain, donne un coup d’éponge à la table.

- Tu veux un dessert ? demande t-elle.

- Non merci.

- T’as tort le clafoutis est un délice, c’est Thomas qui l’a fait.

- Merci mais c’est toujours non.

- D’accord, je te fais un café.

- Ni café ni thé, merci Mélanie, je ne veux plus rien.

Elle espère que Mélanie ne sent pas la pointe d’exaspération dans sa voix mais elle en a marre qu’elle leur tourne autour avec son plateau. Elle est impatiente de savoir ce que Léo veut lui dire à propos de Boher et de préférence sans son amie dans les parages.

- Et vous capitaine ? Une part de clafoutis ça vous tente ?

Samia crispe les orteils dans ses chaussures pendant que Léo refuse poliment. Mélanie s’éloigne enfin pour débarrasser les tables qui commencent à se vider de leurs occupants. Le coup de feu est pratiquement terminé, elle va devoir aider Thomas à ranger la cuisine et remettre la salle en place. Samia se détend, joue machinalement avec le papier défait du morceau de sucre que Léo a plongé dans sa tasse. Il jette à Samia un coup d’œil rapide, lui balance sa question sans plus de manières.

- Il était comment Boher avant que tu t’en ailles ?

- C’est-à-dire capitaine ?

- Il était bien, pas bien ? Il faisait son job correctement ?

- Mais… oui bien sûr, comme d’habitude. Et on s’accroche beaucoup moins ces derniers temps, si c’est ça qui vous inquiète.

- Non c’est pas ça. Ce qui m’inquiète c’est que la nuit dernière je l’ai surpris endormi sur la banque d’accueil le menton dans la main, et ce qui m’inquiète encore plus, c’est que lorsque je lui ai dit de se secouer parce que la nuit allait être longue, il m’a répondu qu’il prenait des médocs qui l’ensuquaient. Alors je voulais savoir s’il t’en avait parlé.

Samia a l’impression de tomber dans un puits tout d’un coup. Boher ? Prendre des médicaments qui l’endorment ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Comment n’est-elle pas au courant ? Pas étonnant qu’elle l’ait trouvé encore au lit en arrivant à l’appartement. Et à mieux y réfléchir c’est vrai qu’il avait l’air plutôt vaseux.

- Je comprends pas capitaine. C’est pas le genre de Boher d’avaler ce genre de médicaments.

- J’ai l’impression qu’il est complètement déprimé. Je l’avais encore jamais vu comme ça. S’il n’est pas opérationnel à 100 % je vais l’enlever du terrain et le cantonner dans les bureaux. J’ai besoin d’agents qui ont des réflexes et qui réagissent au quart de tour, pas d’un type abruti par les médocs, ça peut être autant dangereux pour lui que pour les collègues.

- Oh quant à ça capitaine, à mon avis pas de souci à se faire à propos de ses réflexes, lance Samia.

Son bras est encore douloureux suite à l’échange musclé qu’ils ont eu sur son lit, Boher est peut être sous médocs mais il a tout de même réagi au quart de tour !

- Ah bon ! Tu penses ?

- J’en suis sûre. Et si vous lui interdisez le terrain ça ne va pas arranger son moral bien au contraire. Vous savez aussi bien que moi que c’est ce qu’il préfère. Je peux comprendre ça, je suis dans le même cas que lui.

- Bon, je vous remets en binôme tous les deux dès que tu reprends le boulot, et je compte sur toi pour veiller au grain. A la moindre alerte je veux que tu viennes m’en parler.

- D’accord capitaine, mais je pense que vous vous faites des idées. Boher n’a besoin de personne pour veiller sur lui.

- Peut être. Mais je trouve quand même qu’il agit bizarrement ces temps-ci. C’est quoi cette manie qui lui a pris d’un coup d’enchaîner les conquêtes féminines ? La stagiaire, l’avocate, Mélanie…

- Mélanie ! s’exclame Samia. Elle a parlé trop fort, s’assure d’un regard circulaire que l’intéressée n’a rien entendu. Heureusement elle est occupée à la cuisine et les bruits de vaisselle ont couvert sa voix. Vous vous trompez sûrement capitaine, poursuit Samia moins fort Je serais au courant s’il était sorti avec Mélanie.

- Roland est tout de même passé exprès au commissariat pour voir Boher et lui faire la leçon à propos de Mélanie, j’étais là ! Et j’ai entendu dire qu’ils se sont embrassés à pleine bouche au milieu du bar.

Samia a l’impression étrange que le ciel est en train de lui tomber sur la tête. Elle est sans voix, sans réaction, le regard dans le vague. Sur la table, ses doigts achèvent de déchiqueter le petit morceau de papier sans même qu’elle s’en rende compte. Ainsi ses soupçons se confirment… Boher et Mélanie… Brusquement elle a l’impression que des griffes géantes sont en train de lui déchirer le cœur. Son souffle devient plus court et elle ressent une vague nausée, comme si le hachis Parmentier qu’elle a mangé si volontiers était en train de remonter de son estomac vers ses lèvres. Elle se rend compte de l’étrangeté de son attitude, essaye de reprendre contenance vis-à-vis de Léo qui l’observe avec acuité.

- Qu’est-ce qu’il y a Samia ? T’es jalouse ?

- Pas du tout ! Son orgueil la sauve une fois encore, elle reprend contenance au prix d’un louable effort, serre ses mains l’une contre l’autre sous la table à s’en faire blanchir les jointures. Je suis seulement surprise. Mais je viens tout juste d’arriver et j’ai à peine vu Mélanie…

Elle réussit à sourire à Léo, sans se douter le moins du monde qu’elle est en train de lui faire de la peine, avec son visage blanc et son pauvre sourire crispé. Il décide d’enfoncer un peu plus le clou, histoire de mettre le doigt là où ça fait mal.

- Au fait, t’avais pas prévenu Boher que tu partais en congé…

- N…on, c’est vrai. Je comptais lui en parler mais j’ai trouvé un passage pas cher sur internet et ça s’est fait tellement vite que j’ai eu à peine le temps de faire ma valise. J’ai complètement oublié de l’appeler. J’étais tellement contente de pouvoir retrouver mes parents et de fêter mon anniversaire avec eux, je n’ai plus pensé à rien d’autre !

- Ça n’a guère amélioré son moral. La veille il se fait plaquer par son avocate et le lendemain plus de Samia. En plus il te cherchait pour te souhaiter ton anniversaire justement, il t’avait même acheté un cadeau.

- Comment vous savez ça ?

- Parce qu’il me l’a dit figure-toi. Il m’a fait de la peine assis à son bureau avec son petit paquet-cadeau posé à côté de lui.

- C’est gentil de sa part, dit Samia attendrie. C’est pas bien grave, il me le donnera quand je reviendrai au commissariat.

- Alors ça, ça m’étonnerait !

- Pourquoi vous dites ça…

- Parce que j’ai vu le même paquet l’après-midi même dans les mains de Mélanie qui arrivait au bar. J’ai comme l’impression que Boher n’a pas vraiment apprécié que tu t’en ailles sans le prévenir. D’ailleurs je peux le comprendre, entre collègues…

Léo se lève, jette un peu de monnaie sur la table.

- On se reverra au commissariat. Et pense à ce que je t’ai dit.

- Je persiste à dire que Boher n’a pas besoin de baby-sitter.

- Ce n’est pas de ça que je parlais Samia. A bientôt !

Laissant la jeune femme à des réflexions moroses, il se dirige vers la porte après un signe amical vers Thomas et Mélanie. Une fois sur la place il remonte son col pour empêcher le vent de s’insinuer dans son cou, se dirige vers le commissariat en soupirant. Si seulement cette fichue tête de mule pouvait enfin se mettre à réfléchir. Il n’a jamais cautionné le mélange vie professionnelle et vie privée, mais là… il se prend à espérer que ces deux-là cessent une bonne fois pour toutes de se faire du mal en jouant à je t’aime moi non plus, ils vont finir par y laisser des plumes, d’ailleurs ils ont déjà commencé !

 

Chapitre 4 – U comme… Usurpé

 

Au bar du Mistral, figée sur sa chaise, Samia n’a pas bougé depuis le départ du capitaine. Elle fixe sans les voir, à travers les vitres, les gens qui déambulent sur la place. Estelle et Rudy passent devant le bar sans qu’elle fasse un geste pour les appeler auprès d’elle. Depuis le comptoir, Thomas observe le profil de la jeune femme qui a l’air plongée dans des pensées probablement peu agréables. Il se dirige vers elle pour enlever la tasse de café vide de Léo.

- Même pas un sou pour tes pensées aujourd’hui !

- Pardon ? dit Samia. Tu disais Thomas ?

- Je disais que je ne donnerais pas un sou pour savoir à quoi tu penses vu la figure que tu fais ! C’est si difficile que ça le retour d’Algérie ?

- Non... Je réfléchis à des trucs, c’est tout.

- Des trucs qui te prennent la tête apparemment !

- Oui… Enfin non…

- Bon c’est oui ou c’est non ?

Samia hésite un peu puis se décide.

- C’est vrai que Mélanie et Boher se sont embrassés ici devant tout le monde ?

Elle a pris un air détaché, mais Thomas se permet tout de même un demi-sourire.

- C’est ça qui te tracasse ?

- J’ai jamais dit que ça me tracassait, répond Samia avec une pointe d’agacement. J’ai pas encore parlé avec Mélanie depuis que je suis arrivée mais j’ai l’impression que son moral va mieux, alors je pensais simplement que… ben que ça pouvait être une explication, voilà.

- Ah je vois… Tu penses qu’elle a de nouveau quelqu’un dans sa vie et qu’elle a remonté la pente, c’est ça ? s’amuse Thomas.

- C’est l’idée en gros, oui.

- Eh ben le meilleur moyen de le savoir, c’est de lui demander ! Mélanie ! Tu peux venir s’il te plait ?

Et avant même que Samia ait le temps de protester, son amie sort de la cuisine et se dirige vers eux, l’air interrogateur.

- Samia a des trucs à te demander, dit Thomas fort content de lui en retournant vers le comptoir, les laissant en tête à tête. Prenez votre temps les filles.

Mélanie s’installe en face de Samia, lui sourit.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demande t-elle.

Acculée, n’ayant pas vraiment le choix et mécontente de ne pas l’avoir, Samia se lance.

- Tu sors avec Boher Mélanie ?

Mélanie se permet un sourire.

- Et si c’était le cas…

- Si c’était le cas, et même si ça ne me regarde pas, je te dirais que c’est pas un mec pour toi.

Mélanie éclate de rire.

- Allez va ! Je ne vais pas te faire marcher comme on l’a fait avec Roland, j’ai pitié ! Non je ne sors pas avec Boher. C’était simplement un plan qu’on avait monté pour embêter le patron, c’est tout.

Elle rit de plus belle en voyant la tête de Samia.

- On était déprimés tous les deux, ça nous a rapprochés. Du coup Roland a commencé à se faire des idées et il a fallu qu’il vienne mettre son grain de sel, alors on l’a un peu fait marcher, histoire de lui faire comprendre qu’il fallait qu’il se mêle de ses oignons. Il paraît qu’il a fait un de ces sketches à Jean-Paul au commissariat… J’aurais aimé être une mouche je t’assure !

Samia sourit à son amie. Elle se sent soulagée d’un coup, et s’en veut d’être soulagée. Elle se dit qu’elle est simplement contente pour Mélanie qu’elle ne se soit pas de nouveau embarquée dans une énième histoire foireuse, et rien de plus.

- Si tu avais vu la tête de Roland quand j’ai embrassé Jean-Paul sur la bouche devant le comptoir, poursuit Mélanie, les yeux rieurs. C’était trop drôle ! Mais heureusement qu’il a mal regardé celle de Jean-Paul, il aurait tout de suite compris le lézard ! Il ne sait pas faire semblant ton brigadier ! Il était tellement surpris qu’il avait l’air totalement perdu.

- Au fait tu ne m’as jamais raconté comment tu en es arrivée à discuter de tes états d’âme avec Boher. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ? demande Samia

- Rien de spécial. On s’est croisés chez le Docteur Leserman et on s’est aperçus qu’on prenait les mêmes antidépresseurs, du coup on a commencé à discuter et de fil en aiguille…

- Boher est sous antidépresseurs ? Tu es sûre ?

- Evidemment que je suis sûre. Le docteur Leserman nous a prescrit la même chose à tous les deux.

- C’est pourtant pas trop le genre de Boher de déprimer !

- Peut être mais ces derniers temps il a enchaîné les galères sentimentales, comme moi. Et ce que tu lui as fait n’était vraiment pas de nature à lui remonter le moral.

Samia regarde Mélanie en fronçant les sourcils.

- Comment ça ce que je lui ai fait. Je suis censée lui avoir fait quoi au juste ?

- Il ne savait même pas que tu avais pris des congés. Tu as un peu exagéré non ? Tu m’imagines partant en congé du jour au lendemain sans prévenir Thomas ?

- Ça n’a rien à voir, dit Samia en haussant les épaules. Et j’étais loin de me douter qu’il avait accusé le coup comme ça quand il s’est fait plaquer. Bon, c’est vrai que si j’avais su, je l’aurais probablement ménagé un peu plus. Qu’est-ce que tu veux, j’ai pas l’habitude moi, depuis que je bosse avec lui il m’a toujours fait l’effet d’un type insensible.

- Ben faut croire que tu l’as mal jugé.

- C’est tout de même pas de ma faute s’il tombe toujours amoureux de la fille qu’il ne faut pas ! Il a le chic pour se mettre dans les embrouilles. D’abord une nana qui a essayé de lui faire un coup d’escroquerie à l’assurance, ensuite une stagiaire qui l’a manipulé et qui s’est bien fichu le lui, et en dernier l’avocate.

- Thomas m’a dit qu’elle avait l’air sympa cette femme et qu’ils semblaient bien s’entendre pourtant.

- Ça ne l’a pas empêché de le plaquer. Elle n’a pas mis longtemps à s’apercevoir qu’il est infernal au quotidien !

Brusquement, Mélanie regarde Samia d’un air un peu déçu.

- Pourquoi tu mens Samia ? C’est pourtant pas ton genre…

- Quoi ? Non mais ça va pas ? Je ne mens pas ! Puisque tu es si copine avec Boher il a bien dû te dire que c’est son Armelle qui l’a laissé tomber non ?

- Bien sûr qu’il me l’a dit. Et il m’a dit aussi pourquoi… Quand il est venu t’expliquer qu’il était face à un choix pas évident qui risquait de foutre en l’air son histoire avec Armelle, j’ai pas l’impression que tu l’aies beaucoup aidé. La seule chose qui t’intéressait, c’était de coffrer ton cambrioleur.

- Décidément… il t’en a dit des choses ! ironise Samia vexée. J’espère qu’il t’a dit aussi que j’avais tout de même inventé une histoire de filature pour que sa chérie ne soupçonne rien ?

- Effectivement, il m’en a parlé. La seule chose que tu avais oublié c’est que tu avais affaire à une femme intelligente qui a tout de suite flairé l’arnaque. De là à comprendre que Jean-Paul avait fouillé ses dossiers, il ne lui a sûrement pas fallu longtemps. Tu ne crois pas que si tu t’en étais donné la peine, tu aurais pu trouver mieux ? A croire que tu l’as fait exprès pour que ça foire entre eux !

Samia se lève dans un grand bruit de chaise repoussée, qui fait sursauter une cliente assise non loin de là devant un café, et qui était plongée dans un livre.

- Bon, je crois que j’en ai assez entendu ! Je ne vais pas me mettre à discuter de mon job avec toi. C’est comme si tout d’un coup je voulais t’expliquer comment accueillir les clients du bar, ou comment tenir un plateau rempli de verres. Pour ta gouverne je ne me sens pas du tout coupable d’avoir contribué à l’arrestation d’un malfaiteur qui cambriolait les petites vieilles, et Boher n’a pas besoin de mon aide pour foirer ses histoires sentimentales, il y arrive très bien tout seul ! Ah… et au fait, il te va très bien mon cadeau ! Oui, le joli collier que tu as autour du cou… Boher l’avait acheté pour mon anniversaire.

Laissant Mélanie, interloquée, porter machinalement une main à son cou, Samia tourne les talons et se dirige vers la porte. Elle ne comprend pas pourquoi elle a une boule au fond de la gorge, associée à une ridicule envie de pleurer.

 

Chapitre 5 – R comme… Regrets

 

Après le départ de Samia, Mélanie reste un moment inerte, assise au même endroit, les coudes sur la table, le menton dans les mains et les yeux dans le vague. Jusqu’à ce que Thomas, surpris de sa parfaite immobilité, s’approche d’elle.

- Ça va toi ?

- Euh… moyen, soupire Mélanie. J’ai eu une discussion avec Samia et c’était… étrange.

- Comment ça étrange ? demande Thomas.

- Ben en fait je sais pas trop… On s’est dit des trucs… J’ai une drôle de sensation.

- Vous vous êtes disputées ?

- Non… pas vraiment. Je comprends pas trop ce qui se passe en fait.

Mélanie se lève, se dirige vers le comptoir suivie par Thomas qui se gratte la joue d’un air dubitatif.

- Dis Thomas, ça t’es déjà arrivé à toi d’être amoureux de quelqu’un sans le savoir ?

- Non, pas que je sache. Généralement tu sais, quand je rencontrais un mec qui me plaisait, ça faisait tilt tout suite !

- Et pour Florian, pareil ? Tu as su tout de suite ?

- Bien sûr ! Mais là c’était différent, il était marié et père de famille. Au début, j’ai essayé autant que j’ai pu de le chasser de ma tête. C’est quoi toutes ces questions ? Non… Tu ne t’es tout de même pas disputée avec Samia à cause de Boher ?

Devant le silence éloquent de Mélanie, il se permet un sourire.

- Alors ça c’est la meilleure ! Ne me dis pas que vous en pincez toutes les deux pour lui ?

- Moi non … Si on avait dû sortir ensemble ça serait déjà fait. C’est vrai qu’on s’est rapprochés ces derniers temps et que ça nous a fait du bien de se raconter nos malheurs. En fait je m’étais vraiment trompée sur lui. Ça m’a fait du bien qu’il soit là, mais ça me fait du bien aussi d’accompagner le docteur Leserman dans son association. S’occuper de ceux qui sont dans le besoin, ça aide à oublier ses propres échecs. Non le problème c’est que… c’est que j’ai le sentiment que Samia m’a fait une crise de jalousie ! Autant je l’ai souvent charriée sur ses rapports avec Jean-Paul pour plaisanter, mais là, j’ai vraiment l’impression que j’ai dû rater un truc et que c’est sérieux, maintenant je sais plus comment faire moi ! En plus je suis certaine qu’elle m’en veut !

Thomas ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais la referme brusquement en apercevant Boher pousser la porte du bar. Un léger sourire, un salut, et il préfère battre en retraite dans la cuisine.

Boher s’approche du comptoir où Mélanie a entrepris de ranger les tasses fraîchement sorties du lave-vaisselle.

- J’ai croisé Nassri tout à l’heure à l’appartement, vous l’avez vue ?

- Oui, dit Mélanie sans grand enthousiasme, elle est venue déjeuner.

Devant le peu d’entrain de la jeune femme, il la regarde plus attentivement.

- Ça ne va pas ?

- Si ! Je vous sers un verre de lait ?

- Un café plutôt. J’ai de plus en plus de mal à émerger avec ces fichus médicaments, je crois que je vais tout arrêter.

- C’est ce que je voulais faire aussi, mais le docteur Leserman me l’a déconseillé. Vous devriez retourner le voir.

- Mouais… peut être… Je voulais vous dire que j’ai enlevé les draps dans la chambre et j’ai mis la machine à laver en route. Ce soir vous n’aurez plus qu’à étendre.

- Pourquoi, vous serez où ce soir ? demande Mélanie en posant un café devant Boher.

- Ben… chez moi !

- Ah… Vous partez ?

- Vous avez retrouvé votre coloc, vous n’avez plus besoin de moi. Et je suis sûr que vous avez envie d’une petite soirée entre filles.

Mélanie ne répond pas. Elle augure mal de la « soirée entre filles » vu l’humeur de Samia !

- Bon… Mélanie, vous allez me dire ce qu’il y a ?

- Mais… rien…

- Je vois bien que si ! C’est quoi cette mine ? Si c’est d’accompagner le docteur Leserman à son association qui vous met dans cet état, c’est pas la peine de continuer.

- Mais non je vous assure ! Au contraire ça me fait plaisir d’aider les gens.

- Alors qu’est-ce que vous avez ? Ne me prenez pas pour un abruti je vois bien que quelque chose vous tracasse.

La jeune femme pousse un soupir, décide finalement de se jeter à l’eau, met une main sur son cou.

- Ce collier… vous ne m’avez jamais dit pour qui il était.

- Et c’est pour ça que vous faites cette tête ? Je croyais vous avoir dit que c’était pour quelqu’un qui n’en a rien à foutre de moi et que ça me faisait plaisir de vous voir le porter.

- C’était pour Samia n’est-ce pas ?

- Qui vous a dit ça ?

- C’était pour Samia oui ou non ?

D’un coup, Boher trouve passionnante la contemplation de ses doigts.

- J’en déduis que c’est oui, dit Mélanie devant l’absence de réponse de son vis à vis. Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? Je pensais que vous l’aviez acheté pour Armelle et que vous n’aviez pas eu le temps de le lui donner vu comment vous vous êtes séparés brutalement.

- Bon d’accord c’était pour Nassri. Ça change quoi ? Le jour de son anniversaire je la cherche dans tout le commissariat et le capitaine m’apprend qu’elle a pris des congés, j’avais l’air d’un con avec mon paquet-cadeau. Autant que je l’offre à quelqu’un que j’apprécie non ?

- Vous auriez dû me dire que c’était pour elle.

- Et pourquoi ?

- Parce que je vous aurais conseillé de lui donner le paquet à son retour ! Je suis sûre que ça l’aurait touché.

- Et il ne vous vient pas à l’idée que j’en avais peut être plus envie ?

- Et il ne vous vient pas à l’idée que si je l’avais su, ça m’aurait peut être pas emballé de porter un collier qui était destiné à ma meilleure amie ?

- Bon… Ça suffit comme ça, j’étais juste passé vous rendre vos clés, les voilà. A bientôt Mélanie et merci de m’avoir hébergé, c’était sympa.

Posant sur le comptoir le jeu de clés et la monnaie du café qu’il n’a pas touché, Boher fait demi-tour, pousse la porte et s’éloigne sur la place du Mistral.

Interloquée, Mélanie s’empare machinalement des clés, les regarde comme si elle ne les avait jamais vues. Non, ce n’est pas possible… elle ne peut pas le laisser s’en aller comme ça !

Impulsivement, et sans prendre la peine de se couvrir, la jeune femme se lance à son tour vers la porte pour rattraper Boher, ses doigts serrés sur le jeu de clés.

Discrètement accoudé au passe-plat, Thomas qui n’a pas perdu une miette de la discussion en ayant parfaitement réussi à se faire oublier, lève les yeux au ciel.

 

Chapitre 6 – A comme… Amitié

 

- Jean-Paul ! Jean-Paul ! Attendez ! Attendez-moi !

Boher se retourne, regarde Mélanie courir vers lui.

- Mais… ça va pas de sortir sans manteau ? Vous voulez attraper la crève ?

Il enlève sa veste en cuir, la pose sur les épaules de la jeune femme. Dessous, il porte un jean et un pull clairs. Mélanie trouve que ça lui va bien, lui qui est souvent vêtu de sombre. Elle s’empare de son bras, lui sourit.

- Je suis désolée. Je n’aurais pas dû vous parler comme ça.

- Et moi je n’aurais pas dû vous planter là, répond Boher avec un petit sourire triste. Je suis un con Mélanie, mais ça vous le saviez déjà ! Vous êtes une des rares personnes ici qui m’ait offert une amitié sincère et j’ai encore failli tout gâcher. Je me demande comment vous faites pour me supporter.

Bras-dessus bras-dessous, ils ont fait demi-tour pour regagner le bar du Mistral. Mélanie remet les clés dans la main de Boher.

- Gardez-les, je les avais fait faire pour vous.

- Vous êtes sûre ?

- Oui je suis sûre. Et d’ailleurs je ne vois pas pourquoi vous voulez partir si vite. Samia est rentrée, mais vous pouvez vous installer dans le bureau si vous n’avez pas envie d’être seul. Moi aussi je tiens à votre amitié Jean-Paul, ça m’a vraiment aidé qu’on devienne colocs ces derniers temps.

- C’est gentil mais je ne veux pas abuser, dit Boher en mettant le jeu de clés dans la poche de son jean. Ça ne serait pas du goût de Nassri que je m’incruste chez vous.

- Qu’est-ce que vous en savez ? Dès l’instant où ça nous aide tous les deux, je vois pas pourquoi elle serait pas d’accord.

- Je préfère rentrer chez moi Mélanie. On se prend déjà suffisamment la tête au commissariat à cause du boulot, j’ai pas envie qu’on continue le soir entre la poire et le fromage, vous en auriez vite marre et c’est vous qui me mettriez dehors !

- Comme vous voudrez. Mais n’oubliez pas que vous êtes toujours le bienvenu. Et puis… Jean-Paul… vous n’êtes pas un con, loin de là !

Ils passent de nouveau la porte du bar où Thomas, derrière le comptoir, les accueille avec un demi-sourire amusé.

- C’est gentil, répond Boher, pendant que Mélanie enlève la veste de ses épaules et la lui tend.

- Je trouve au contraire que votre réaction est pleine de délicatesse.

- Quelle réaction ? dit Boher surpris.

- Vouloir nous laisser en tête à tête toutes les deux pour notre première soirée, je trouve très sympa de votre part que vous y pensiez.

- Ça paraît évident. Depuis le temps que vous ne vous êtes pas vues, vous devez avoir des tas de choses à vous raconter !

- En temps normal oui, mais là…

L’air interrogateur, Boher regarde Mélanie, sourcils froncés.

- Bon… on s’est un peu pris la tête tout à l’heure quand elle est venue déjeuner.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Je vous l’ai dit, elle savait pour le collier. Je crois qu’elle n’a pas apprécié, même si elle préfèrera se faire couper un bras plutôt que de vous l’avouer…

- Et comment elle a su ?

- Je sais pas vraiment, mais elle a discuté un bon moment avec Léo.

- Ah d’accord… je vois.

- Non je crois que vous voyez pas, vous ne voyez rien ni l’un ni l’autre et ça fait deux ans que ça dure. Le numéro qu’elle m’a fait, si c’était pas une scène de jalousie ça y ressemblait drôlement…

- Vous plaisantez Mélanie j’espère ! répond Boher en haussant les épaules.

- J’en ai l’air ? J’ai peut être pas fait d’études mais j’ai de l’intuition. J’avais déjà quelques doutes avant son départ en congé, mais là… après ce qui vient de se passer j’en ai plus du tout !

- La fameuse intuition féminine hein ? ironise Boher.

- Appelez ça comme vous voulez, n’empêche que ça existe. Au fait vous n’avez pas bu votre café tout à l’heure, vous en voulez un autre ? C’est moi qui vous l’offre.

- D’accord.

Thomas décide qu’il est temps pour lui de regagner la cuisine plutôt que d’essayer de faire corps avec le percolateur derrière son comptoir. Mélanie prend sa place, fait couler un café à Boher qui s’est assis en face d’elle, les mains posées sur le zinc. C’est l’heure creuse d’après le repas au bar du Mistral. A peine cinq ou six personnes sont assises devant une boisson chaude, certaines avec un journal ou un livre. Les coudes sur le comptoir et le menton dans les mains, Mélanie est plongée dans ses réflexions.

- N’empêche… soupire Mélanie.

- Quoi ? dit Boher en achevant de boire son café.

- N’empêche que je me suis quand même pris la tête avec Samia à cause de vous. Vous devriez creuser un peu de ce côté.

- Il n’y a rien à creuser. Nassri a tout simplement passé une mauvaise nuit sur un ferry secoué par le mistral, c’est tout.

- Ce que vous pouvez être borné quand vous vous y mettez ! Elle n’aurait pas réagi comme ça si elle ne tenait pas à vous.

- Bien sûr, elle tient à moi, ironise Boher. C’est pour ça qu’elle m’avait même pas prévenu qu’elle partait, et que j’ai même pas eu un coup de fil.

- Ah vous vous êtes bien trouvés tous les deux ! Aussi têtus l’un que l’autre ! Quand est-ce que vous allez réussir à dialoguer bon sang ? S’il n’y en a pas un des deux qui se lance, dans dix ans vous en serez encore à vous prendre la tête au commissariat. Je suis sûre qu’elle tient à vous, et de votre côté ne me dites pas que vous ressentez rien, je vous croirai pas. Vous pensez pas qu’il faudrait passer à l’étape suivante non ?

Boher hausse les épaules, ne répond pas. A vrai dire il a enterré l’idée depuis que Samia l’a manipulé sans aucun scrupule lors de l’affaire de la villa Cypriani. Mais l’idée en question ne doit pas être enfouie si profondément, car il lui suffit de creuser légèrement pour la retrouver intacte, comme si elle avait toujours été là.

Le soir même, seul chez lui vautré dans son canapé, fixant sans le voir son écran télé, il redécouvre en lui une lueur oubliée, celle de l’espoir. Et lorsqu’il se décide à aller se coucher, la lueur se matérialise de nouveau, elle ressemble pour la première fois depuis longtemps dans son rêve au beau visage de Samia.

 

Chapitre 7 – M comme… Merveilleux

 

Samia pousse la porte de son appartement, pose son sac et son blouson sur le plan de travail du coin cuisine, enlève ses chaussures.

Après être sortie comme une tempête du bar du Mistral, elle a erré un moment dans le quartier, regardant les vitrines sans la moindre idée de ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur, puis elle a eu envie d’aller chez Estelle et Rudy. Elle s’est donc dirigée vers l’immeuble des deux jeunes gens en espérant qu’ils soient là. Estelle était seule, plongée dans ses cours, elle s’est montrée ravie de revoir Samia. Refermant ses livres, elle a préparé un thé et les deux jeunes femmes ont passé l’après-midi autour de la théière et de quelques biscuits. Mais si Samia comptait discuter avec son amie de ses états d’âme, elle a été vite déçue. Après lui avoir demandé rapidement des nouvelles de ses parents et de son séjour en Algérie sans trop écouter les réponses, son amie a passé le reste du temps à lui parler de Rudy et des relations ambigües qu’il entretient depuis quelques semaines avec une certaine Anémone, une riche amie de Mirta. Trop accaparée par ses propres soucis, Samia a cependant essayé de s’intéresser à son histoire et de la rassurer, mais comme elle n’est pas non plus dans un jour d’écoute, la discussion a finalement vogué vers des banalités telles que le temps, la fac, les incursions répétées de Mirta dans la vie du jeune ménage et les gardes de Rudy, toujours trop nombreuses au goût d’Estelle. D’autant que sans oser le dire à son amie, Samia trouve ses inquiétudes un peu ridicules. Rudy jouant les gigolos aux côtés d’une veuve fortunée ? C’est n’importe quoi. Depuis l’affaire Victoire, cette pauvre Estelle ne sait vraiment plus quoi inventer pour attiser sa jalousie chronique.

Voyant la nuit tomber, Samia s’est donc levée, déçue, pour rentrer chez elle. Mélanie fait la fermeture du bar ce soir, elle va donc rentrer tard. Plantée au milieu du salon les bras ballants, elle commence à se sentir mal à l’aise en se rappelant la dispute qu’elles ont eue. Avec le recul elle a un peu honte d’en être arrivée là. C’est encore à cause de Boher tout ça, se dit Samia, agacée, en récupérant sa valise toujours posée dans l’entrée.

Dans sa chambre, elle constate que les draps ont été ôtés, la pièce aérée, elle n’a plus qu’à faire son lit. Tout de même, se dit-elle, il aurait pu s’en occuper ! Et en même temps, elle pense que Boher est une des personnes qui la connait le mieux, il a probablement deviné qu’il était inutile qu’il change le lit, que Samia ne pourra pas s’empêcher de critiquer les draps qu’il a choisi et la manière dont ils sont mis, et que par conséquent elle va tout défaire et refaire à son goût ! C’est vexant de penser qu’il l’a cernée à ce point en travaillant avec elle, elle n’a décidément plus grand-chose à lui cacher de sa personnalité. C’est même plus que vexant c’est… troublant.

Une fois la valise ouverte posée sur une chaise, elle va dans la salle de bains chercher un panier à linge, s’aperçoit que la diode du lave-linge est allumée. Boher a dû mettre la lessive en route avant de quitter l’appartement. Machinalement, Samia déverrouille le hublot de l’appareil, coupe l’eau. Dans la pièce flotte une odeur inhabituelle. Qu’est-ce que c’est ? pense t-elle intriguée. Un instant elle songe à l’odeur de la poudre à laver mais non. L’odeur est agréable, vaguement familière. Un petit paquet de rasoirs jetables oublié sur le lavabo lui donne soudain l’explication. Ça sent… Boher, tout simplement. Il y a maintenant deux ans que Samia respire cette légère odeur au commissariat, quand elle s’approche de lui. Un jour pour le vexer, elle avait critiqué son après-rasage pourri, même si elle a plusieurs fois songé que ça sent plutôt bon finalement. Elle s’assoit sur le rebord de la baignoire, ferme les yeux, respire à petits coups, comme si le fait de s’imprégner de l’après-rasage de Boher allait le faire brusquement apparaître devant elle. Elle regrette de s’être sauvée tout à l’heure. Il voulait lui préparer quelque chose à manger, c’était plutôt gentil. Ils auraient grignoté un morceau en se vannant comme au commissariat, il lui aurait peut être parlé de sa rupture avec Armelle, elle aurait peut être trouvé les mots pour lui, même si c’est un peu tard. Ou alors ils auraient parlé de son séjour chez ses parents, il lui aurait probablement demandé de leurs nouvelles, avec lui elle aurait pu en parler librement. Son père qui s’étiole chaque jour un peu plus depuis la disparition de Malik, sa mère qui essaye de « faire comme si » mais qui ne trompe personne et qu’elle a vue plusieurs fois s’essuyer les yeux lorsqu’elle se croyait seule. Leur joie qu’elle soit avec eux pour son anniversaire… Anniversaire, collier, Mélanie. Brusquement Samia ouvre les yeux, se lève, attrape le panier qu’elle est venue chercher, retourne dans la chambre et commence à extraire ses affaires de la valise et à les trier avec des gestes rageurs. Il est gonflé quand même ! Choisir un cadeau pour une femme et l’offrir à une autre… tout ça pour une crise de susceptibilité mal placée. Décidément Boher ne changera jamais, il aura toujours autant de tact. Pas étonnant qu’il se retrouve à nouveau célibataire ! Il faudrait qui pour le supporter, on se le demande ?

Et c’est à ce moment que l’image de Boher en caleçon se redessine dans sa mémoire, avec une netteté qui la stupéfie. Elle revoit tout ! Les cheveux en pétard, la barbe naissante, le torse nu, les muscles des bras, le ventre, les cuisses… Elle secoue la tête. Ma parole elle devient cinglée c’est pas possible. Mais elle ne peut pas empêcher une petite voix en elle, sa fée ou sa petite sorcière personnelle qui sait, lui chuchoter que pour voir un tel spectacle le matin au réveil, finalement une femme est capable de passer sur beaucoup de choses… Insidieuse, la petite voix continue à lui souffler des pensées peu avouables, le genre de question qu’une femme se pose immanquablement à propos d’un homme lorsqu’elle a envie de le connaître mieux, qu’elle commence à le regarder comme un partenaire possible, LA question cruciale que des millions de femmes à travers le monde se posent chaque seconde et dans toutes les langues : ça serait comment avec lui ?

Samia se prend la tête à deux mains, se bouche les oreilles, pose ses fesses sur le matelas, elle finit par s’allonger, enfouit son visage dans ses bras. Je suis fatiguée, se dit-elle. Il faut vraiment que je dorme moi ! Une fois à l’horizontale, elle a l’impression de sentir de nouveau les mouvements du ferry, elle a la tête qui tourne mais s’obstine à garder les yeux fermés. Devant la barrière de ses paupières closes, une lueur grandit comme un soleil et c’est la voix d’Adil, l’adolescent du ferry, qu’elle entend brusquement : « cherche la lumière, tourne-toi toujours vers elle au lieu de rester dans la nuit. Il est maladroit ton chevalier blanc, mais il t’aime et il est malheureux… ».

Elle est partie dans un sommeil léger et peuplé de rêves où elle voit un chevalier blanc s’avancer vers elle dans le désert, tout auréolé de lumière, une longue épée scintillante au côté. Et elle court, elle court vers cette lumière… Arrivée près du chevalier, il enlève son gantelet de fer pour saisir sa main. La sienne est chaude, rassurante, elle en pleurerait de bonheur tellement elle se sent bien. Le chevalier porte un heaume dont la visière est baissée. Sa main toujours dans la sienne, Samia s’avance encore un peu, se presse contre lui, elle est en sécurité, elle a trouvé sa maison. Il lâche sa main mais avant qu’elle ne s’affole, il l’enlace, la serre à la briser. « Et la cruche m’a dit : Bois donc du vin sans cesse. Nul ne revient au monde après l’avoir quitté. » De nouveau la voix d’Adil, mais elle ne le voit pas, elle est seule avec son beau chevalier. Beau ? Samia lève la tête, cligne des yeux dans la lumière, fixe l’énigmatique heaume. Elle remonte ses deux mains en une longue caresse sur le torse, les bras et les épaules de l’homme, sent une cotte de mailles sous ses vêtements amples de coton blanc, atteint sa visière, s’apprête à la soulever…

Samia sursaute, désorientée, perdue, frustrée et le souffle court. Mais pourquoi est-ce qu’elle s’est réveillée ? Elle était si bien dans son rêve, elle a envie d’en pleurer de déception. Elle s’assoit sur le lit, se passe les deux mains sur le front. Elle allait remonter la visière, ôter le casque, l’embrasser…

Encore alanguie, elle se lève, décide d’aller à la cuisine se préparer quelque chose de chaud. Arrivée dans le salon, elle comprend ce qui l’a réveillée. Mélanie est rentrée, c’est certainement le bruit de la clé dans la serrure ou le claquement de la porte qui l’a fait sursauter.

- Tu es déjà là ?

- Oui, finalement c’est Thomas qui reste ce soir.

Mélanie enlève ses bottes, se dirige vers l’évier pour se laver les mains. Son visage est fermé.

- J’ai ramené deux omelettes du bar, et aussi un peu de salade. Ça nous fera notre dîner.

Samia ne répond pas, va vers son amie, caresse son bras, met la tête sur son épaule sans plus de façons.

- Pardonne-moi Mélanie. Je suis désolée. Je… je sais pas ce qui m’a pris de te parler comme ça.

Mélanie se détend, sourit, s’empare d’une serviette pour essuyer ses mains.

- C’est oublié. Moi aussi je t’ai dit des choses que je n’aurais pas dû, excuse-moi.

- Bon… On va peut être s’arrêter là, sinon on va passer la soirée à se faire des excuses.

- Je suis d’accord. Allez ! Je réchauffe un peu les omelettes et… un petit verre de Cassis, ça te dit ?

- Volontiers, sourit Samia. J’espère que ça va me réveiller, je m’étais endormie ! J’ai même pas fini de défaire ma valise et j’ai pas fait mon lit.

- Tiens ça me fait penser qu’il faut que j’étende les draps, la machine doit être arrêtée.

- Laisse, je ferai ça demain, j’ai tout mon temps je suis encore en vacances.

- Je préfère pas, insiste Mélanie, ça risque de prendre des odeurs.

- Oui, finalement tu as raison je vais t’aider, dit Samia, suivant son amie dans la salle de bains. A deux ça ira plus vite.

Mais pendant qu’elle aide Mélanie à vider le lave-linge en écoutant distraitement son babillage retrouvé, elle ne peut pas s’empêcher par moment de se sentir troublée par l’odeur légère de l’après-rasage et le petit paquet qui la nargue sur le rebord du lavabo.

 

Chapitre 8 – O comme… Obtus

 

Laissant Mélanie ranger la cuisine, Samia s’est installée dans le canapé, une jambe repliée sous elle, son verre de vin posé sur la table basse. Elle a chipoté quelques morceaux d’omelette, deux feuilles de salade et grignoté quelques grains de raisin. Mélanie s’étonne qu’elle ait si peu d’appétit, elle lui répond que le hachis du déjeuner était copieux. A vrai dire elle se serait volontiers passé de repas ce soir. Elle se sent lasse. Après avoir étendu la lessive, les deux jeunes femmes ont refait le lit de Samia avant de se mettre à table. Mélanie a fait la conversation pratiquement toute seule, lui racontant par le menu sa cohabitation avec Boher et sa récente implication dans une association catholique, au grand plaisir de Mirta. Samia a écouté un mot sur dix, un mot sur vingt, et au final plus grand-chose des explications de son amie sur son arrivée dans cette association par l’intermédiaire du docteur Leserman.

Le récit de la cohabitation avec Boher est nettement plus intéressant, Mélanie affirme qu’il est facile à vivre, aidant volontiers aux tâches ménagères et faisant même la cuisine. Samia commence par ricaner. Oui, pour ouvrir des boîtes ou acheter de la charcuterie, c’est sûr qu’il doit savoir faire. Mélanie s’empresse de la détromper, affirmant qu’il a préparé deux ou trois petits plats qui l’ont carrément bluffée. Finalement elle en parle avec tellement d’enthousiasme que l’humeur de Samia redevient morose, elle a tout d’un coup l’impression désagréable que son retour a cassé une routine bien huilée, et que son amie en sait à présent plus qu’elle sur Boher ce qui est pour le moins impensable, voire déroutant. La conversation prenant un tour qui lui déplait, elle réussit à changer de sujet, parle de son séjour en Algérie et de ses parents qui n’ont toujours aucune nouvelle de Malik. Elle sait bien qu’évoquer Malik devant Mélanie n’est pas forcément l’idée du siècle et que ça la fait souffrir, mais elle n’est pas la seule à avoir souffert dans cette histoire. Néanmoins elle se sent mal à l’aise en voyant s’embuer les yeux de son amie qui s’est assise sur le canapé à côté d’elle, se dépêche de passer à autre chose. Afin de la faire rire, elle raconte par le menu et sur le mode humoristique son arrivée à l’appartement quand elle a sauté sans le vouloir sur Boher plongé dans le sommeil, elle donne des détails, en rajoute, force le trait. Mélanie ne réagit pas et lorsqu’enfin elle réussit à en placer une :

- Fonce Samia… Tu en as envie, alors qu’est-ce que tu attends !

- Pardon ? De quoi tu parles ?

- D’après toi ? Il faudra bien qu’un jour vous arrêtiez de vous épier tous les deux. Vous vous tournez autour comme deux gamins, je suis sûre que vous avez envie tous les deux de passer à l’étape suivante.

- Ça va pas non ? Qu’est-ce qui te prends ?

- Arrête de me considérer comme plus idiote que je ne suis Samia. Tu ne m’aurais pas fait une pareille scène au bar si tu ne ressentais rien pour Boher.

- Ah parce que tu t’imagines que j’ai envie de compléter le tableau de chasse de Boher et d’être la énième conquête sur sa liste ?

- Sauf que si tu ne l’avais pas tant piétiné, il ne serait jamais allé voir ailleurs.

- Non mais ça y est là ? D’un coup Boher est ton meilleur ami et moi je suis la méchante de l’histoire ?

- J’ai jamais dit ça. Mais tu ne l’as pas vu comme moi je l’ai vu la première semaine où tu es partie. On allait aussi mal l’un que l’autre, moi à cause de mon histoire avec Dominique, et lui parce qu’il essaye en vain de t’oublier et de passer à autre chose sans y arriver. Et en plus il m’a dit que tu l’avais encouragé.

- Evidemment, j’ai fait ça pour l’aider !

- Tu crois vraiment que tu l’as aidé ?

- C’est pas de ma faute s’il tombe toujours sur la fille qu’il ne lui faut pas.

- Parce que celle qui lui faut, elle est sous son nez en permanence et qu’il souffre de plus en plus.

- Arrête Mélanie, c’est n’importe quoi. Il n’a pas pu te dire ça ! C’est pathétique.

- Bien sûr qu’il ne m’a rien dit de tel, il est bien trop pudique. Et ça n’est pas n’importe quoi, je suis sûre que tu le sais, je te connais bien Samia. Sois franche et dis-moi combien de fois par jour tu penses à lui quand vous ne bossez pas ensemble ? Je suis persuadée que tu t’es même déjà demandé ce que ça donnerait dans un lit vous deux. J’ai tort peut être ? Devant le visage de Samia en train de s’empourprer depuis le cou jusqu’à la racine des cheveux en passant par les oreilles, Mélanie a un petit sourire satisfait. Bon… ben visiblement je n’ai pas tort. Tu sais quoi ? Des deux, je crois que c’est toi qui es pathétique. Arrête ça Samia, arrête avant qu’il ne soit trop tard.

Samia reste un moment silencieuse, puis tout à coup, se lève d’un bond.

- Bien ! Je crois que ça suffit pour une seule journée. Je n’ai pas envie de parler de ça et je suis bien trop fatiguée, je vais me coucher. Bonne nuit Mélanie, désolée de te planter là mais j’ai vraiment sommeil.

- Samia, tu sais que je t’aime comme une sœur. Je veux juste que tu sois heureuse. Promets-moi simplement de réfléchir à tout ça.

Elle lâche un soupir. Elle avait oublié combien Mélanie peut parfois être obstinée lorsqu’elle s’en donne la peine.

- D’accord mère-poule, c’est promis je ferai un effort, mais seulement lorsque j’aurai l’esprit clair, là j’ai juste envie de dormir.

Sacrée Mélanie, pense Samia, un demi-sourire aux lèvres, en s’enfonçant avec délice dans son lit. Et tout en s’endormant, elle pense qu’elle aimerait bien reprendre son rêve là où il s’est arrêté, retrouver son chevalier blanc et se blottir dans ses bras.

« Laisse-toi aller, laisse-toi aimer puisque tu l’aimes, ta vie c’est lui… » A nouveau elle entend la voix d’Adil… Quelle chose bizarre tout de même que la mémoire.

 

Chapitre 9 – U comme… Uniforme

 

Ce matin-là en poussant la porte du commissariat, Samia est satisfaite. Elle en a assez des vacances et elle a hâte de reprendre le travail. Et surtout, sans vouloir se l’avouer, elle a très envie de retrouver Boher qui s’est mis aux abonnés absents durant les quelques jours de congé qui lui restaient. Personne ne l’a vu dans le quartier ni au bar du Mistral. Mélanie lui a téléphoné le samedi soir, afin de l’inviter à manger une pizza « maison » à l’appartement, mais il a poliment décliné l’invitation en prétextant qu’il n’est pas libre. Samia a ironisé qu’il doit être accaparé par une nouvelle conquête et Mélanie a haussé les épaules. Elle sent bien que son amie est déçue, mais hésite à entamer une nouvelle fois le chapitre Boher avec elle. Elle a dit tout ce qu’elle avait à dire, aussi bien à l’un qu’à l’autre.

Samia se dirige vers les vestiaires, saluant ses collègues au passage. Elle cherche Boher du regard, ne le voit pas. Il commençait pourtant une heure avant elle ce matin, elle a pris la peine de vérifier sur le planning. Le temps de se mettre en tenue et elle est de retour dans la cuisine pour se préparer un thé. Elle sourit à Boukhrane en train de se servir un café et s’empare de la bouilloire.

- Où est Boher ce matin, je ne l’ai pas vu ?

- En intervention, on a signalé une bagarre sur la voie publique, il est parti avec Jean-François.

Comme toujours lorsque Boher est en intervention sans elle, elle ressent un pincement au cœur. Elle est toutefois satisfaite de constater que Léo ne l’a pas enlevé du terrain.

Samia achève de boire son thé, se dirige vers son bureau où l’attend une pile de dossiers à décourager un rat de bibliothèque. Elle s’assoit, regarde machinalement la chaise vide de son coéquipier en face d’elle. Elle a l’impression que le chien ridicule posé sur le bureau la fixe d’un air diabolique. Boher a dû partir précipitamment car il a oublié sa boîte de petits cigares. Pendant une bonne heure, elle essaye de se concentrer sur son ordinateur sans y parvenir totalement, et elle réalise qu’il en a toujours été ainsi lorsqu’elle attend que Boher revienne. Pas la peine de continuer à se leurrer il lui faut se rendre à l’évidence, elle déteste franchement lorsqu’ils sont séparés dans le boulot.

- Bonjour Samia.

Elle se retourne. Léo est derrière elle.

- Bonjour Capitaine.

- Finalement je pense que c’est toi qui avait raison et que je me suis inquiété pour rien.

- A quel propos ?

- A propos de Boher. Ils reviennent là. L’intervention s’est déroulée on ne peut mieux, et ils ramènent des suspects.

- Je vous l’avais dit…

Elle se sent heureuse, elle va reprendre les patrouilles et le travail en commun avec son coéquipier préféré. Léo ne répond pas, se dirige vers son propre bureau. Samia prend comme prétexte d’aller chercher des agrafes sous la banque d’accueil pour traîner à proximité de l’entrée en attendant le retour de Jean-François et Boher.

L’attente n’est pas longue. Un quart d’heure plus tard, Jean-François passe la porte, poussant devant lui un individu menotté et protestant bruyamment de sa bonne foi. Derrière eux, Boher, l’air furieux, une barre entre les sourcils. Malgré elle, le cœur de Samia fait un bond. Elle lui sourit, reçoit en retour un regard glacial, visiblement son coéquipier n’a pas l’air décidé à fêter son retour au commissariat avec les flonflons. Elle est tout de même contente de le retrouver égal à lui-même, le col de chemise déboutonné, les cheveux en bataille et son blouson d’uniforme ouvert. Malgré elle, elle le revoit à moitié à poil dans sa chambre le jour de son retour, commence à ressentir une certaine langueur au creux de l’estomac, accompagnée de quelques papillons dans le ventre. Ça commence bien les retrouvailles, se dit-elle en se moquant d’elle-même. Machinalement ses yeux se portent sur la personne qu’il tient par le bras. Fermement maintenu par la poigne solide de Boher, elle reconnait Adil, l’adolescent du ferry, il a une coupure au front et une estafilade sur la joue. Samia arrondit les yeux, regarde alternativement Boher et Adil. Le jeune garçon l’a reconnue aussi, lui sourit gentiment. Il n’a pas l’air plus impressionné que ça de se retrouver dans un commissariat. Elle s’avance, fixe Adil sans comprendre.

- Mais… Qu’est-ce que tu fais ici toi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Vous connaissez ce garçon Nassri ? demande Boher surpris.

- Oui et non… On s’est rencontré sur le ferry le jour de mon arrivée. Qu’est-ce qu’il a fait ?

- Oh pas grand-chose, ironise Boher, il a failli provoquer une émeute en pleine rue, rien de méchant.

En entendant les paroles de Boher, l’homme maintenu par Jean-François manque de se jeter sur l’adolescent, c’est tout juste si le brigadier arrive à le maîtriser.

- Petit con va ! Je vais t’apprendre moi…

- Du calme là oh ! s’énerve Boher. Ça commence à bien faire vous ! On vous a déjà dit de la fermer, vous parlerez quand on vous le demandera.

Il appelle un collègue, lui confie Adil afin qu’il l’emmène à l’infirmerie soigner ses coupures au visage, pendant que Jean-François se dirige avec son suspect vers son propre bureau, devant lequel il le fait asseoir sans trop de douceur.

Visiblement agacé, Boher se dirige vers la cuisine, ouvre le réfrigérateur pour prendre une bouteille de lait. Samia lui emboîte le pas.

- Boher mais qu’est-ce qui s’est passé ? Il m’avait l’air plutôt doux et gentil ce garçon. Pas du tout le genre à déclencher une bagarre de rue.

Son coéquipier lâche un soupir exaspéré, pose son verre de lait sur la table après en avoir bu la moitié, ôte son blouson et le pose sur une chaise.

- C’est ce qu’on aimerait comprendre. Ce sont des commerçants qui nous ont appelés. Ils étaient au moins quatre ou cinq à se mettre sur la tronche en plein milieu de la rue. Evidemment quand on s’est pointés tout le monde s’est barré mais on a réussi à choper ces deux-là. D’après le type tout est de la faute du gamin.

- J’ai un peu de mal à le croire, répond Samia peu convaincue.

- Eh ben c’est justement ce qu’on va voir. Dès que votre petit protégé revient de l’infirmerie, on va éclaircir tout ça.

Boher s’assoit pour finir son lait. Machinalement, elle se pose à côté de lui, hésite un peu, puis se lance.

- C’est… c’est dommage que vous ne soyez pas venu nous rejoindre samedi soir, ça nous aurait fait plaisir.

Il lui jette un coup d’œil rapide et légèrement surpris, visiblement il ne s’attendait pas à ce que Samia lui parle de ça. Il se détend, lui fait un sourire, le premier depuis qu’il a passé l’entrée du commissariat.

- C’est gentil mais je ne pouvais vraiment pas. Depuis le temps que j’avais tout laissé en plan chez moi, ça m’a pris plusieurs jours pour remettre l’appartement en état.

- Vous auriez dû me le dire j’aurais pu venir vous aider, j’étais encore en congé.

- Merci mais j’avais vraiment pas envie que vous voyez ça, je m’étais un peu trop laissé aller ces temps-ci, il était plus qu’urgent que je mette de l’ordre… au propre comme au figuré d’ailleurs.

- Et… comment vous allez ?

- Ça va… disons que j’ai connu mieux.

- Boher je… je suis désolée de ne pas vous avoir prévenu que je partais.

- N’en parlons plus Nassri. Comment vont vos parents ?

Il lui pose la question tellement gentiment, que brutalement elle sent une boule lui monter dans la gorge.

- A vrai dire… pas très bien.

- Toujours aucune nouvelle de…

- Non aucune. A croire qu’il n’a jamais existé… Mon père le supporte de plus en plus mal, ça va finir par le tuer…

Elle a baissé la tête pour masquer les larmes qui font briller ses yeux, un peu honteuse de se laisser aller comme ça devant Boher. La main chaude de son coéquipier vient recouvrir les siennes qu’elle avait posées à plat sur la table de la cuisine.

- Si vous voulez en parler… n’oubliez pas que je suis là.

- Pourquoi vous faites ça Boher ?

- Ça quoi ?

- Vous êtes toujours là pour moi, toujours prêt à m’aider ou à me soutenir. Et moi, tout ce que je trouve à faire…

- Chut Nassri ! l’interrompt Boher en resserrant la pression de sa main, vous allez finir par dire des bêtises.

Il la regarde d’un air tellement malicieux et tendre qu’elle ne peut s’empêcher de sourire à travers ses larmes, et tout à coup, elle ose un geste totalement irréfléchi, le premier geste spontané qu’elle a envers cet homme depuis qu’ils travaillent ensemble, sa première pulsion, son premier pas vers une évidence qu’elle a essayé de repousser au fin fond d’elle-même. Elle emmêle ses doigts aux siens, serre fort, remonte la grande main vers sa joue et ferme les yeux. Il se laisse faire, elle sent sur sa joue une caresse impalpable… Elle a chaud tout d’un coup. Brusquement elle a envie de poser sa tête sur l’épaule de Boher, elle a envie d’être déraisonnable, elle a envie qu’il la serre dans ses bras, elle se prend à rêver de ses lèvres sur les siennes… Samia ouvre les yeux. Boher la fixe d’une manière tellement intense qu’elle se sent frémir, mais aucune force au monde ne pourrait l’empêcher de soutenir son regard. Imperceptiblement elle se rapproche de lui, respire son odeur. Sa jolie bouche s’entrouvre d’une manière plus que sensuelle, appelant le baiser… ce baiser dont Samia a tellement envie tout à coup…

Un raclement de gorge se fait entendre, ils sursautent tous les deux, se reculent en même temps, délient leurs doigts.

- Euh… pardon, dit Jean-François. Le jeune garçon est revenu de l’infirmerie.

- Oui… Je… j’arrive !

Au prix d’un louable effort, Boher se lève, se dirige vers son bureau après un ultime regard langoureux vers la jeune femme, abandonnant une Samia totalement frustrée et mécontente. A présent qu’elle a commencé à abattre les barrières qu’elle avait dressées depuis tellement longtemps, elle sent confusément qu’elle risque rapidement de déraper, qu’elle va avoir du mal à tout arrêter, et qu’elle ne sait d’ailleurs même pas si elle en a l’intention.

 

Chapitre 10 – R comme… Récit

 

Curieuse, Samia après avoir bu d’un trait un grand verre d’eau pour se calmer, est retournée vers le bureau de Jean-François pour assister à la confrontation entre Adil et l’autre homme, toujours aussi furieux et énervé qu’à son arrivée dans le commissariat. Les deux policiers ont un peu de mal à s’y retrouver dans toute cette affaire. Ils finissent tout de même par attraper un bout de fil et à le dérouler afin de démêler tout l’écheveau. L’homme était dans une supérette du quartier avec sa femme, son beau-père et son beau-frère, toute la famille était en train de faire les courses paisiblement, lorsque les mains de l’homme ont malencontreusement croisé celles d’Adil venu faire des achats pour ses grands parents, au rayon des légumes dans un panier de pommes de terre.

- Vous vous rendez compte M’sieur l’agent, que ce morveux a…

- Brigadier, l’interrompt Jean-François.

- Pardon… Brigadier. Ce morveux a commencé à me fixer de son air bizarre, et là, devant ma famille, voilà qu’il commence à raconter des trucs étranges comme quoi je suis infidèle à ma femme et que je la fais souffrir.

- Ça n’est pas vrai peut être ? dit l’adolescent paisiblement.

- C’est faux ! hurle l’homme en se dressant à demi sur sa chaise. La patte de Boher l’oblige à se rasseoir.

- Avec les détails que j’ai donnés, apparemment elle était convaincue, et les deux autres personnes aussi, sourit Adil.

- D’où tu connaissais ces gens ? demande Boher.

- Je ne les ai jamais vus, répond Adil.

- Alors qu’est-ce qui t’as pris de les provoquer comme ça, au point de dire que…

- Je ne sais pas, je l’ai senti quand je l’ai touché, c’est tout !

- Il est fou M’sieur l’agent, je vous l’avais dit…

- Brigadier !

- Oui… Brigadier… Il est fou à enfermer ce gamin ! A cause de lui ma femme s’est mise à hurler comme une hystérique devant tout le monde, mon beau-frère et mon beau-père m’ont sauté dessus, et le gérant nous a fichus dehors ! Je vous garantis qu’il n’est pas près d’oublier la raclée que je lui ai mise à ce morveux !

- Vous ne pensez pas que vous avez un peu exagéré non ? dit Samia, ne pouvant pas s’empêcher de mettre son grain de sel dans la conversation.

- Un peu exagéré ? Vous voulez rire ? A cause de lui je suis au bord du divorce !

Samia regarde Boher, qui la regarde aussi. Elle se rend compte qu’ils retiennent tous les deux une furieuse envie de rire. Ils réussissent néanmoins à conserver leur sérieux.

- Adil, où sont tes grands parents ? demande Samia.

- Ils sont prévenus, intervient Jean-François. Le môme n’a fait aucune difficulté pour nous présenter ses papiers, je pense qu’ils ne devraient pas tarder.

- Tant mieux, crie l’homme toujours furieux, je vais leur dire ma façon de penser moi !

- Alors vous, vous avez plutôt intérêt à la mettre en veilleuse, répond Boher. Vous pourrez vous estimer heureux s’ils ne portent pas plainte ! Ce n’est qu’un gamin et c’est vous qui avez perdu vos nerfs ! Et en attendant qu’ils arrivent, un petit séjour dans la cage ça va vous calmer.

Samia sourit à Adil, le prend par le bras pour le faire lever.

- Viens avec moi à la cuisine, je vais te servir quelque chose de chaud à boire.

Il suit Samia sans difficulté. Une fois installé devant un chocolat et quelques petits sablés, il observe la jeune femme en train de mettre un sachet de thé dans une tasse d’eau bouillante.

- Tu es belle, dit l’adolescent. Encore plus belle que lorsque je t’ai vue sur le ferry. Tu es en train de trouver ta lumière, je le sens. C’est bien… La nuit n’est pas faite pour toi je te l’ai dit. Et il a tellement d’amour à te donner ton chevalier blanc… c’est lui ta lumière. Il est ton père, ton frère, ton amant, ton avenir, ton amour. Il me posait des questions mais il ne pensait qu’à toi ! Quelle chance tu as d’être aimée comme ça… La plupart des hommes et des femmes de ce monde n’auront jamais ce que tu as.

- Tu devrais arrêter de dire des choses comme ça Adil, chuchote Samia troublée. Tu vas finir par avoir des ennuis, et tes grands parents aussi.

- Ce n’est pas de ma faute si je vois des choses.

- Alors… essaye de les garder pour toi !

Boher arrive dans la cuisine, se verse un peu de café, fixe Samia qui se sent rougir sous le double regard du jeune garçon et de son coéquipier.

- Bouh ! Quelle matinée hein ! dit Boher. Une crise conjugale… Y avait longtemps tiens ! Ça va toi ? Tes coupures ne te font pas trop souffrir ? L’adolescent, toujours assis, lève la tête, commence à le fixer sans lui répondre. Etonné, il regarde Samia, puis Adil de nouveau. Adil lui sourit, pose une main sur son bras.

- Elle va accepter…

- Pardon ? dit Boher.

- Tu peux lui demander, elle dira oui. Tu as plein de mots dans ta tête, tu veux lui dire tellement de jolies choses et tu hésites encore. Mais cette chose-là… elle dira oui, je le sais, elle la portera parce que tu as conquis son cœur.

Pour l’étonnement de Samia, le visage de Boher devient blanc. Il fixe l’adolescent avec un mélange d’inquiétude et de surprise. Mais Adil continue de lui sourire.

- Arrête d’avoir peur ! Tu ne dois pas avoir peur !

Samia ne comprend pas trop ce qu’il raconte, mais à regarder le visage de son coéquipier, elle a l’impression que lui, il sait parfaitement de quoi il est question, et visiblement le brigadier Boher est en panique ! Il est transformé en statue, à la main sa tasse de café qu’il n’a pas bue, les doigts du garçon toujours posés sur son bras. Il en est presque comique. Une fois de plus c’est Jean-François qui met un terme à la scène en venant annoncer que les grands parents d’Adil viennent d’arriver.

Boher lâche un soupir, se secoue, dégage son bras et jette à l’adolescent un regard agacé. Il fait signe à Jean-François pour qu’il l’emmène à l’accueil retrouver ses grands parents.

Une fois seuls, Boher et Samia se regardent.

- Quel curieux garçon, dit Boher.

- Oui, sourit Samia, c’est bien ce que je me suis dit lorsque je l’ai rencontré sur le ferry. Mais il est attachant, vous ne trouvez pas ?

- Mmm… Si on veut. Je commence à comprendre que l’autre idiot ait pété les plombs.

- Vous avez compris quelque chose à ce qu’il vous a dit ?

A sa grande surprise, le visage de Boher, de blanc qu’il était, devient rouge ponceau, il pose sa tasse sur la table et quitte la cuisine sans répondre pour aller rejoindre Jean-François à l’accueil. Loin d’être vexée par son comportement, Samia s’en amuse. Visiblement il a parfaitement compris les paroles du jeune garçon et il en est troublé. Elle décide d’aller à l’accueil aussi, afin de voir les grands parents d’Adil.

Lorsqu’elle y arrive, la grand-mère serre son petit-fils contre elle, caresse sa joue, examine ses pansements.

- Mon Dieu Adil ! Mon chéri ! Mais dans quel état tu es ! Qu’est-ce que tu as encore fait ?

- Bonjour Madame, dit Samia. Vous me reconnaissez ? On s’est rencontrées sur le ferry.

- Mais oui, bien sûr ! Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ?

A côté de sa femme, le grand père dévisage tour à tour Adil, puis Samia, tout en répétant comme une litanie :

- Ça ne peut plus continuer, ça ne peut plus continuer !

Une fois la situation éclaircie, Adil quitte le commissariat avec ses grands parents qui ont finalement décidé de ne pas porter plainte. Laissant son mari sortir en tenant le jeune garçon par le bras, la grand-mère s’approche de Samia.

- Merci d’avoir pris soin de lui. Je suis désolée pour tout ça.

- Ne soyez pas désolée Madame, répond Samia. Cet homme n’avait pas à le frapper, vous êtes généreux de ne pas porter plainte, ça aurait pu être bien plus grave que deux estafilades au visage.

- Il devait être admis la semaine prochaine, mais avec ce qui vient de se passer, on va sûrement arriver à le faire interner plus rapidement.

- Interner ? dit Samia en fronçant les sourcils, comment ça ?

- C’est pour son bien vous comprenez. Il a besoin de soins et on ne peut pas le surveiller tout le temps. Le psychiatre nous a certifié que le pole psychiatrique du boulevard Baille est très bien. Il y sera bien suivi. On n’y arrive plus ! Mon mari est à bout et moi aussi. C’est difficile à nos âges d’élever un gamin qui n’a plus ses parents. Il s’enferme de plus en plus dans son monde, il faut qu’on l’aide et nous, on ne peut pas faire grand-chose.

Dehors, le grand-père confie Adil à Boher, le temps d’aller chercher sa voiture. Boher jette à l’adolescent un regard rapide, croise les bras sur son blouson.

- Tu sais que tu es très fort toi ? Tu as bien failli m’avoir ! Allez, dis-moi tout, je t’en voudrai pas. Tu m’as vu sortir de la bijouterie il y a deux jours c’est ça ?

- Je ne sais pas de quoi vous parlez.

- Bien sûr oui… je vais te croire.

- Il y a deux jours j’étais à Bouc-Bel-Air avec mes grands parents, ils ont une petite maison là-bas. En fait on y était depuis qu’on a débarqué du ferry, on est revenus hier soir seulement à Marseille. C’est pour ça qu’ils m’avaient envoyé faire quelques courses ce matin, ma grand-mère avait besoin de provisions.

Haussant les épaules, mais ne trouvant plus rien à répondre, Boher fait demi-tour pour retourner dans le commissariat, passant comme une tempête devant Samia surprise, qui vient de sortir avec la grand-mère d’Adil.

 

Chapitre 11 – Le soir du troisième jour

 

- Dis oui Mélanie, dis oui ! S’il te plait… s’il te plait !

Mélanie lève les yeux au ciel. Assise en face d’elle, les mains agrippées au comptoir, Samia se penche vers son amie avec un air suppliant.

- Quand tu veux quelque chose toi… Evidemment que c’est oui ! Maintenant que tu te décides enfin, tu penses bien que je ne vais pas rester là pour tenir la chandelle ou te mettre des bâtons dans les roues. Je vais aller m’installer quelques jours chez mon père et je prendrai le bus le matin ! Tu es contente ?

- T’es un amour Mélanie. Merci.

- Mais… je veux tous les détails !

- On verra… Il n’y aura peut être rien à raconter ?

- Non mais tu te fiches de moi ? Bon… Si tu la joues comme ça, j’irai demander à Jean-Paul !

- Tu n’oserais pas faire ça…

- A ta place je parierais pas là-dessus. Tu oublies que nous sommes de grands amis Jean-Paul et moi…

Elles éclatent de rire toutes les deux en même temps.

- Eh ben les filles, vous m’avez l’air bien joyeuses ce soir, dit Thomas en sortant de la cuisine.

- Je pourrai partir plus tôt ? demande Mélanie. Je vais chez mon père et il faut que je rentre préparer mon sac.

- Oui bien sûr, pas de problème, répond Thomas.

- Bon, moi je file, dit Samia, j’ai aucune idée de ce que je vais faire à manger.

- Tu penses vraiment qu’il a accepté pour ta cuisine ? demande Mélanie avec un clin d’œil.

Et elles rient de nouveau. Un ultime merci et Samia sort du bar du Mistral.

- Alors ? demande Thomas…

- Alors quoi ? répond Mélanie.

- Ben… moi aussi je veux savoir… Samia n’aurait pas un petit rancard avec Boher par hasard ?

- Si on te le demande…

Des semaines plus tard, Samia pense qu’elle se souviendra sûrement toute sa vie de cette soirée-tendresse. Enfermés dans l’appartement des filles comme dans un cocon protecteur, ils ont grignoté les plats italiens que la jeune femme est allée acheter au traiteur du coin, trop énervée qu’elle est pour faire quoique ce soit de bien dans la cuisine. Ils ont discuté, ils se sont un peu chamaillés, ils ont ri, ils ont goûté le vin que Boher a apporté, puis ils se sont retrouvés tous les deux assis côte à côte sur le canapé du salon. Imperceptiblement, comme au commissariat, leurs regards sont devenus plus explicites, leurs sourires plus ambigus. Leurs mains se sont rencontrées sur la bouteille de vin qu’ils ont voulu tous les deux saisir en même temps, et ne se sont plus lâchées. Comme au commissariat ils ont entrelacé leurs doigts, et ils se sont sentis bouillir tous les deux, rien qu’à ce simple contact. Et quand Samia s’est rapprochée pour nicher sa tête dans le cou de Boher, il était déjà trop tard. Trop tard pour tout stopper, trop tard pour qu’il rentre chez lui, trop tard pour qu’ils n’aient pas envie tous les deux de goûter la bouche de l’autre, le corps de l’autre. Ils ont mis un temps fou à se déshabiller, à se caresser. Et finalement, ils se sont retrouvés au seuil de la chambre de Samia comme au seuil d’une aventure. La tension était trop forte entre eux depuis trop longtemps pour qu’ils n’aient pas envie l’un et l’autre d’aller jusqu’au bout sans plus se poser de questions.

Samia s’est donnée comme elle ne l’avait jamais fait avec aucun homme, elle a reçu en retour une joie tellement puissante qu’elle a cru qu’elle allait en mourir. Et là, brusquement, pendant qu’ils reprenaient leur souffle, elle a réalisé qu’elle ne pourrait plus se passer de lui, qu’en une seule petite soirée elle était devenue dépendante, accro comme à une drogue, et qu’elle en était heureuse… tellement heureuse. Et les larmes ont jailli de ses yeux sans qu’elle cherche à les retenir, elle a pris entre ses mains le visage de son homme pour l’embrasser encore et encore. Lorsque ses lèvres ont touché ses yeux à lui, elle s’est rendu compte qu’il pleurait aussi. Alors de sa langue elle a léché les deux petites larmes qu’elle avait senties sous sa bouche, elle s’est blottie tout contre lui pour s’endormir, oh pas bien longtemps. Elle ne sait même plus qui a réveillé qui, tout au long de cette nuit hors du temps.

Et le matin, lorsqu’elle a ouvert ses grands yeux cernés avec un soupir de bien être, et que son bras machinalement est parti tout seul à la rencontre de l’homme couché près d’elle, elle a paniqué quand elle a réalisé qu’elle était seule dans son grand lit dévasté. Mais une bonne odeur de café chaud est venue chatouiller ses narines et la rassurer.

Elle se souviendra de ce premier petit-déjeuner à deux, de leur béatitude lorsqu’ils ont réalisé qu’ils ne travaillent ni l’un ni l’autre pendant trois jours, que Mélanie est partie chez son père et qu’ils ont l’appartement rien que pour eux. L’un et l’autre étaient tellement sevrés de tendresse qu’ils ont passé trois jours complets sans mettre le nez dehors, à tenter de rassasier leur faim d’amour.

Balayés les Lucas, les Armelle et autres prénoms dont ils ont du mal à se souvenir, ils sont nés dans les bras l’un de l’autre. Il n’y a jamais eu personne avant, il n’y aura plus jamais personne après, ils sont soudés l’un à l’autre.

Et le soir du troisième jour, il a sorti d’une poche de sa veste un petit paquet noué d’un ruban rose, en lui disant qu’il l’aimait tellement, et depuis si longtemps. Elle a ouvert le petit paquet, qui contenait une petite boîte, et dans la petite boîte, une bague, un simple anneau plat en or blanc avec un cœur gravé, qu’elle lui a immédiatement demandé de glisser à son annulaire. Il lui a juré ses grands dieux qu’il ne mettra plus jamais en doute les paroles des gamins facétieux et étranges quand ils donnent des conseils encore plus étranges, il a pris sa main entre les siennes, déposé un baiser sur l’anneau qui va parfaitement au doigt mince de Samia. Elle lui a caressé la joue, lui a dit qu’elle avait aussi quelque chose pour lui. Elle s’est levée, elle est allée dans la chambre fouiller dans sa boîte à bijoux. Quand elle est revenue, elle a mis autour de son poignet son trésor le plus précieux, tout ce qui lui reste de Malik, la gourmette que ses parents lui avaient offerte lors de sa prestation de serment, et que Mélanie avait retrouvée parmi ses affaires après son départ. Elle lui dit qu’elle aussi ne mettra plus en doute les conseils étranges d’un gamin. « L’absent restera l’absent, et à force de chercher son soutien tu passes à côté de ta vie » avait-il dit. A présent, elle est bien décidée à la vivre cette vie, une vie pleine de promesses, pleine de belles choses qu’ils seront deux à partager. Elle a trouvé son chevalier blanc, elle a soulevé la visière du heaume, elle s’est tournée vers la lumière et son amour y brillait.

Et quelques jours plus tard, lorsqu’ils ont voulu aller voir Adil afin de lui apporter un peu de soutien et de réconfort, et qu’ils ont appris que l’adolescent était mort, emporté par les médicaments dangereux qu’il a réussi à voler parce qu’il ne supportait plus d’être enfermé, Samia réfugiée dans les bras de son amour, une fois le premier choc passé, réussit à sourire à travers ses larmes :

- C’était le Petit Prince… Il est parti. Il a réussi à regagner sa planète, il est rentré chez lui.

 

FIN

Novembre 2009

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